La Douce raconte l'histoire de Léon Van Bel, machiniste-mécanicien proche de la retraite, éperdu d'amour pour sa locomotive à vapeur, la 12.004. Lorsque celle-ci sera mise au rebut, il fera tout pour la sauver, et son entêtement solitaire le conduira, doucement, dans l'envers d'un univers déclinant.

Ce monstre d'acier aux formes futuristes à réellement fonctionné. Si la 12.004 était l'une des plus rapides machines à vapeur franco-belges de son temps, elle devait rapidement disparaître à l'aube de l'industrie du train électrique. Tout un symbole !

La Douce de Schuiten raconte donc le trait d'union entre deux mondes, celui de la vapeur et de l'électricité, mais aussi entre le monde chtonien du rail, où tout est robustesse et vitesse, et le monde aérien et lent du câble téléphérique électrique, mystérieux et improbable nouveau moyen de transport, condamnant le rail et ses travailleurs à brève échéance.

Schuiten est le maître du jeu des oppositions, aussi bien dans les symboles que dans son noir et blanc épuré et puissant. On retrouve dans La Douce tout le talent de l'auteur des Cités Obscures : le graphisme précis et réaliste de son trait, dépeignant toute la beauté de mondes finissants. Schuiten sait rendre la poésie des mondes engloutis et des cités en déclin piégées par d'improbables choix technologiques.

Mais La Douce n'est pas nostalgique. Bien au contraire. Ce trait d'union entre archaïsme et modernité, on le retrouve dans la forme même de la BD. En effet, La Douce est la première BD utilisant la technologie de la "réalité augmentée". Il suffira ainsi au lecteur d'ouvrir la page de garde de l'album et la placer devant la webcam de son ordinateur. La locomotive apparaîtra et il vous suffira ensuite de bouger l'album pour la manipuler. Une prouesse technologique qui donne à cette BD une dimension poétique encore plus mystérieuse.

Aurélien Dutier 
(17/04/12)