Million dollar baby


Les nouvelles de F. X. Toole
(2000)

Le film de Clint Eastwood
(2005)





Récompensé par quatre Oscars et un César, Million dollar baby est encore une grande réussite de Clint Eastwood. Mais avant le film, il y a eu le livre, un recueil de nouvelles écrites par un ancien boxeur caché derrière le pseudonyme de F. X. Toole. Nous avions envie d’en savoir un peu plus sur les liens entre les nouvelles et le film, entre la boxe et le cinéma…



Les nouvelles

Million dollar baby est le titre d’une des six nouvelles qui composent le recueil de F. X. Toole paru en 2000 aux Etats-Unis sous le titre Rope burns puis en France en 2002, chez Albin Michel, traduit par Bernard Cohen et intitulé alors La brûlure des cordes. Depuis la sortie du film (ses quatre Oscars et son César), le livre a été repris en poche en changeant de titre.

L’auteur, de son vrai nom Jerry Boyd, est né en 1930 et décédé des suites d’une opération cardiaque juste avant la parution de son livre en France. Il a fait des études d’art dramatique à New York et exercé divers métiers – cireur de chaussures, torero à Mexico, barman à Los Angeles - avant de devenir boxeur à 46 ans, puis entraîneur et soigneur. Il a écrit toute sa vie (nouvelles, romans, scénarios, pièces de théâtre) sans parvenir à se faire éditer. C’est en 1999 qu’une revue littéraire de San Francisco a accepté une de ses nouvelles, L’air singe, et qu’un agent, l’ayant lue, a réussi à faire publier le recueil.

Les six textes sont de longueurs très différentes, de 19 à 108 pages, mais tous ont pour narrateur ou personnage principal un entraîneur ou un soigneur.
Pour construire le scénario du film, ce sont essentiellement deux nouvelles qui ont été mêlées : La fille à un million de dollars (Million dollar baby), bien sûr, et Eau glacée.

En une cinquantaine de pages, Million dollar baby met en scène Frankie Dunn, un vieil entraîneur blanc qui règne sur une salle de boxe de Los Angeles, La caverne aux beignes.
« Le vieux Blanc ne vous regardait pas dans les yeux, non : il regardait ce qu’il y a derrière les yeux, et jusqu’au fond de la tête. » Sa voix « fondait parfois sur vous sans crier gare puis se pelotonnait à nouveau mais elle atteignait toujours votre esprit avec des images qui s’y inscrivaient, oui, sa seule vibration peignait des tableaux qui finissaient par devenir une partie de vous-même et vous amenait à entendre encore la voix du vieux Blanc même quand il n’était plus là. A chaque fois que Frankie Dunn expliquait à un boxeur comment se mouvoir, et pourquoi, celui-ci arrivait à voir le mouvement par les yeux de Frankie et il le sentait passer dans sa propre chair, ses propres os, et alors il s’emplissait de la magie de la compréhension et de la sensation de la puissance. »
Dans chaque page, il est question de boxe mais l’écriture transcende le genre et nous emporte très au-delà du récit.
Dans cette nouvelle, un seul combat est décrit, celui qui met fin de manière dramatique à l’aventure de Maggie. Les dizaines de combats qui précèdent sont seulement cités ou suggérés. L’essentiel, c’est la relation qui unit Frankie et Maggie.
La nouvelle est construite en deux parties : l’ascension jusqu’au match fatidique et ensuite la face à face quotidien dans une chambre d’hôpital où Maggie va se raconter, se livrer et chercher à convaincre Frankie de lui rendre un nouveau service, plus grand encore que le premier.

Elle a déjà 32 ans quand elle cherche à convaincre le vieux Blanc de l’entraîner. Elle vient du Missouri. « Issue d’une famille à la dérive, comme tant d’autres dans la région, elle avait grandi dans une caravane. » Quand son père meurt, elle a douze ans. « Quelque chose est mort en moi aussi. A seize ans, j’ai laissé tomber le bahut et j’suis devenue serveuse. » Puis elle quitte le Missouri et pense réussir dans le sport. Elle essaye le karaté, le base-ball et le basket. « Et puis un jour j’ai vu des nanas boxer à la télé et j’me suis dit que ma chance avait tourné ». Et quand elle a une idée dans la tête, rien ne la fait changer d’avis.
Frankie commence par résister. « J’ai rien contre toi en particulier, tu comprends ? Mais ça m’obligerait à trop changer. Et puis j’ai plus trop de kilomètres devant moi, pas vrai ? » Elle comprend mais elle insiste. Il accepte de donner un conseil par-ci par-là, puis se laisse apprivoiser…
Elle apprend vite, progresse, gagne tous ses matchs… Les année passent, elle combat à Johannesburg, Paris, Dublin…Les victoires, la gloire, l’argent… Et puis il faut penser à mettre un terme à sa carrière.
Frankie savait que les ressources physiques de Maggie n'iraient pas plus loin que deux ou trois combats de championnat. Et bien sûr il voulait qu'elle devienne « Macushla à un million de dollars », qu'elle impose définitivement son nom avant de se retirer du ring pour rester à jamais « quelqu'un ». De cet ultime match, elle sort paraplégique. Frankie l’accompagne jusqu’à la fin.

Eau glacée, la nouvelle la plus courte, nous présente Dillard le Battant Béton Bang-Bang Barch, un jeune Blanc au quotient intellectuel plutôt limité, qui rêve d’affronter le champion du monde. Il vient aussi du Missouri, comme Maggie, et tous les mois il s’entraîne quinze jours parce qu’il lui faut une semaine pour retourner chez lui en auto-stop toucher sa pension et une semaine pour revenir. Il a découvert cette salle de boxe par hasard quand l’ami de sa mère l’a amené à Los Angeles et l’y a largué à la première occasion en espérant sans doute ne jamais le revoir. Mais comme le Petit Poucet, il s’est fait indiquer le chemin du retour sur une carte et il a réussi à rentrer.
Le titre de la nouvelle vient des questions perpétuelles de Bang-Bang et notamment de sa perplexité devant une bouteille d’eau sortant du freezer : « Comment qu’ils font pour rentrer ce morceau de glace-là par le petit trou de la bouteille ? »
Les autres personnages sont noirs.
Curtis Odom dit Prions Mes Frères, ancien boxeur devenu entraîneur après avoir perdu un œil au combat est le propriétaire de la salle. Toujours correct, juste, et sérieux comme un pape.
Willie Punch est le narrateur de la nouvelle. C’est l’homme à tout faire de la salle de boxe. Le narrateur du film, qui n’existe pas dans Million dollar baby, est un mélange de ces deux-là.

Toole place la boxe au-dessus de tout. Garçon, fille, blanc, noir, qu’importe si tu es boxeur. Il n’aime pas les tricheurs, les arnaqueurs, les vicieux et les lâches. Dans Million dollar baby, le personnage négatif, c’est L’ourse Bleue, l’adversaire de Maggie, qui n’hésite pas à frapper par traîtrise après la cloche de fin de round. Dans Eau glacée, c’est Shawrelle, un jeune Noir, plus voyou que boxeur.
Un jour où le patron est absent, Punch doit quitter la salle pour réparer une fuite dans les douches. Shawrelle en profite pour attirer Bang-Bang sur le ring et lui taper dessus sans que l’autre ait même l’idée de se défendre. Le combat ne dure que quelques secondes mais pour Bang Bang c’est le monde qui s’effondre. « Avec son premier crochet, Shawrelle a tué son rêve, avec les autres il creuse la tombe pour le foutre dedans. » Prions Mes Frères et Punch arrivent au même moment et Shawrelle qui s’en prend alors au patron reçoit la raclée de sa vie.
Bang-Bang est reparti vers le Missouri et il y a peu de chances pour qu’il reprenne un jour la route de Los Angeles... Quant à Shawrelle, il est préférable qu’il évite désormais de franchir la porte de la salle de boxe.

A la sortie du livre, James Ellroy l’a considéré comme le meilleur livre de fiction sur la boxe depuis Fat City (paru trente ans plus tôt) et Joyce Carol Oates a écrit : « FX Toole nous brise le cœur. La brûlure des cordes est un livre absolument fascinant, une vision complète et généreuse d’un monde que la plupart d’entre nous ne pourront jamais approcher, à plus forte raison pénétrer. Ces nouvelles sont drôles, dérangeantes, imprévisibles et pleines de suspense, mais elles sont surtout douloureusement vraies. »

Alors, en achetant le DVD, n’oubliez pas d’acheter aussi le livre…

Serge Cabrol 

La boxe au cinéma

La boxe anglaise est certainement le sport le plus représenté au cinéma (environ 500 films). Du muet (The ring d’Alfred Hitchcock en 1927) à nos jours, les plus grands acteurs, majoritairement américains ont joué un rôle de boxeur : Buster Keaton, Erol Flynn, Paul Newman, Robert de Niro, Denzel Washington, Will Smith mais aussi Jean-Paul Belmondo et Alain Delon.

S’il existe des films de boxe à part entière (la série des cinq Rocky), la boxe peut aussi être au cœur d’un film noir (Plus dure sera la chute de Mark Robson en 1956 avec Humphrey Bogart), d’une comédie (Le dernier round de Buster Keaton) ou d’un drame (Le montreur de boxe, film français de Dominique Ladoge avec Richard Borhinger, 1995). Il y a aussi les biopic de boxeurs dont Cassius Clay détient le record avec trois films autour de sa personne : Ali de Michael Mann en 2001, et deux documentaires, Muhammad Ali the greatest de William Klein en 1974 et When we were kings de Leon Gast en 2002.

Pour un acteur, jouer un boxeur est une gageure car il doit paraître crédible dans la mise en scène des combats et se surpasser physiquement. Ainsi Robert de Niro n’hésite pas à prendre 20 kg pour jouer le rôle de Jake la Motta dans Raging Bull de Martin Scorcese en 1980.

La boxe, c’est aussi le reflet de la situation économique d’une société, voire d’une communauté dans ladite société. On essaie de devenir boxeur pour sortir de la misère ; le combat devient alors une métaphore de la vie du personnage : franchir des obstacles, en baver pour peut-être gagner et plus certainement perdre (Rocco et ses frères de Luchino Visconti en 1960).

Pour en savoir plus sur le sujet, on peut se plonger dans l’excellent ouvrage de Philippe Durant, historien du cinéma, La boxe au cinéma, paru en 2005 aux éditions Carnot cinéma.



Le film

Maggy est trop vieille pour boxer. Franky est trop vieux pour aimer. Ils vont se jauger, s’épauler, s’apprivoiser, toucher la lumière et communier dans l’ombre.
Maggy a 32 ans et s’est échappée du quart-monde pour atterrir serveuse dans un fast-food. Après le boulot elle vient cogner dans un grand sac et s’est mis en tête de se faire coacher par Frankie, l’entraîneur de la salle de boxe. Frankie, le silencieux « qui n’entraîne pas les filles », tait ses regrets (lorsqu’il était soigneur, il n’a pas su arrêter le combat de trop) et ses douleurs (les lettres qu’il adresse à sa fille lui reviennent systématiquement). Son champion le lâche et Maggie s’accroche. Il va lui prodiguer ses conseils...
L’histoire, c’est un troisième larron qui la raconte : Scrap l’ancien boxeur devenu borgne à son 109e combat et qui a élu domicile dans la salle de sport.

Million Dollar Baby c’est 132 minutes en apnée. Ce film aurait pu être le pire des mélos mais aucun effet de mise en scène ne vient appuyer l’économie des dialogues ; sobriété que l’on retrouve dans la performance des acteurs qui incarnent plus qu’ils ne jouent. Libre au spectateur d’être touché ou non par ce qu’il voit. Même les combats sont filmés au plus près des boxeurs et l’affrontement devient alors plus mental que sportif, laissant les réactions de la foule hors champs. L’ascension de Maggie est marquée par les négociations financières entre Frankie et les managers, jusqu’au match ultime, à un million de dollars ; match qui voit arriver Maggie en pleine lumière, précédée de deux joueurs de cornemuse, vêtue d’un kimono de soie verte marqué d’une mystérieuse inscription en gaëlique « Ma Cuischla » tandis que son adversaire avance dans la pénombre, sa capuche bleue nuit rabattue sur son visage.

Un film de boxe ? Oui mais de Clint Eastwood qui une fois encore médite, et donne à méditer les préoccupations qui jalonnent son œuvre : le lien filial (Les pleins pouvoirs), le vieillissement (Créance de sang), la solitude (Impitoyable). On est alors peu étonné mais bluffé quand même de le voir endosser le rôle de Frankie avec une telle justesse. Frankie, l’entraîneur éternel soigneur qui rêverait presque de boxeurs sans bleus ni bosses et qui promène une fausse résignation sur son visage magnifiquement usé. Si la vieillesse apporte la sérénité elle s’accompagne aussi d’un cortège de manques et de regrets avec lesquels il faut bien finir sa vie.

Ce film a fait couler beaucoup d’encre et suscité bien des éloges. Quelques égarés ont fustigé son classicisme (se dit actuellement de tout film immédiatement compréhensible ) et il est vrai qu’il se regarde comme une longue bobine qui se défile, sans aucune rupture ; pas une faute de goût, pas un silence ou un geste de trop ne vient altérer ce récit qui va à l’essentiel.

Million dollar baby – Réalisation de Clint Eastwood, scénario de Paul Haggis d’après le recueil de nouvelles de F.X. Toole.
Avec Clint Eastwood, Hilary Swank , Morgan Freeman.

Oscars 2005 du Meilleur Film, du Meilleur Réalisateur pour Clint Eastwood, de la Meilleure Actrice pour Hilary Swank et du Meilleur Acteur dans un second rôle pour Morgan Freeman. César 2006 du Meilleur Film étranger.
En 2006, le scénariste Paul Haggis, passé à la réalisation a reçu l’Oscar du meilleur film pour Collision (Crash).

Parution en simple et double DVD en octobre 2005 – éditions Studio Canal.

Patricia Châtel 

Mise en ligne : Juin 2006


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Le livre / Le film


F. X. Toole
(1935-2002)


Clint Eastwood




































Hilary Swank




Morgan Freeman