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Philippe ADAM


Ton petit manège




A Ottignies, en Belgique, vient d’être remis le 18e Prix Renaissance de la Nouvelle, l’un des prix les plus importants récompensant un recueil de nouvelles francophone.
Le lauréat 2009 est Philippe Adam pour Ton petit manège paru aux Editions Verticales.
Michel Lambert, fondateur du prix, précise que le jury, cette année, « voulait couronner un ton et une couleur. Le ton est cynique, pince-sans-rire, narquois. La couleur est noire, monochrome. Une maille se défait dans la narration pour voir une ouverture vers l’absurde. Philippe Adam parle d’obsédés, de malades, de dragueurs maladroits, de personnes âgées. » Toujours selon Michel Lambert l’auteur éprouve de la jubilation pour ses personnages, pour leurs catastrophes même si parfois il est écœuré par certains de leurs comportements. Le lecteur a aussi envie de rire par moments. L’approche esthétique est très particulière et spécifique.
Un échange avec les membres du jury permet de mieux comprendre les intentions et les conceptions de l’auteur qui est aussi professeur de philosophie.

Marie-Hélène Lafon : Est-ce le ton qui induit le sujet ou le sujet qui induit le ton de votre recueil ?
Philippe Adam :
J’ai rarement d’idées. Quand dans la rue, une phrase me vient, je la note et elle donne le ton d’une nouvelle.

Ghislain Cotton : Quelle nécessité donnez-vous à l’exergue de Karl Marx qui est au début de votre recueil : J’ai semé des dragons et j’ai récolté des puces ? Vos textes retournent-ils la proposition : à partir de puces on récolte des dragons. A partir de situations banales récolte-t-on des dragons ?
Philippe Adam :
Les disciples de Karl Marx sont plus marxistes que Karl Marx. C’est une phrase que j’ai trouvé très belle. Les dragons donnent des romans, c’est un aboutissement. Les puces ne sont pas dans cet esprit. Les puces dérangent, grattent comme les nouvelles qui sont dérangeantes.

Marie-Hélène Lafon : Dans votre recueil certaines nouvelles sont très brèves, l’une est très longue et d’autres sont intermédiaires. Quelle est la scansion, le rythme de votre recueil ?
Philippe Adam :
Je n’ai pas recherché un équilibre particulier mais avec l’éditeur nous avons discuté de la position des nouvelles les unes par rapport aux autres. La dernière nouvelle, dont le titre est Préface, aurait pu être en premier mais justement cela aurait eu trop l’air d’une préface. Pour terminer le recueil, c’est plutôt une blague. J’ai découvert aussi que je pouvais assumer un texte très court mais fini. J’ai lu les nouvelles de Kafka en sept à huit lignes et cela m’a décoincé.

Alain Absire : Vos nouvelles démarrent d’une phrase mais il y a une grande unité. L’avenir de vos personnages leur a fait faux bond, ils ont un désespoir intime, une obsession de la mort. Ils se rassurent comme ils peuvent. C’est un défi à l’absurdité de la vie. Ce n’est pas si noir.
L’espoir est tordu mais il y a toujours quelque chose à prendre dans cette souffrance. Il y a la conscience de n’être pas seul à mourir. C’est un espoir, une consolation, une issue ?
Philippe Adam :
Je n’ai pas d’idée de rédemption. La souffrance ne rachète en rien. Il faut aller au bout du fiasco. C’est plutôt un stage stoïcien pour quelqu’un qui va mourir. En effet, les stoïciens disaient : « Socrate est mort avant toi alors qu’il valait mieux que toi, de quoi te plains-tu ? »

Alain Absire : Il y a beaucoup d’humour dans ce recueil. Le pire est dérisoire.
Philippe Adam :
Le plus drôle est le dragueur foireux qui lorsque cela ne marche pas va dire : « quelle conne, de toute façon je n’aurais pas été heureux avec elle. » Il est épinglé en flagrant délit de ridicule.

Claude Pujade-Renaud : L’une de vos nouvelles parle d’un enfant issu d’un inceste. Son père va lui faire la classe. Il lui enseigne la littérature et notamment un poème de Baudelaire. Pourquoi Baudelaire ?
Philippe Adam :
Brian Peppers est un personnage qui existerait. Il a sa photo sur Internet. C’est peut-être un canular. Dans ma nouvelle c’est un personnage monstrueux, fruit d’un amour incestueux. Il est viré de l’école puis embauché dans un hôpital. C’est une vraie histoire sur Internet. Une infirmière s’est plainte d’avoir été "touchée". Brian Peppers a été mis immédiatement en prison. Comme il est très laid, il ne peut être que coupable. Je voulais donc écrire une nouvelle de réhabilitation. Le père lui fait étudier le poème de Baudelaire La servante au grand cœur. Pourquoi j’ai choisi ce poème ? Parce que j’adore ce poème car ma grand-mère paternelle était domestique. Je pense à elle quand je lis ce poème.

Georges-Olivier Châteauraynaud : Ce sont des histoires contemporaines. C’est un regard sur l’espèce humaine avec de l’ironie, de la pitié, de la cruauté. Ces trois mots vous conviennent-ils ?
Philippe Adam :
Oui, tout s’achève en grande pitié. Mon prochain texte est un roman sur les centenaires et le rapport au temps, à la pitié de vieillir. J’essaye d’avoir un ton badin pour arriver à des chutes glaçantes pour que le lecteur s’en souvienne. J’ai envie d’être violent dans mes textes pour qu’ils se terminent comme des gifles. Mon souhait est de mettre le lecteur mal à l’aise. Je n’ai pas de pitié pour le lecteur.

Jean-Claude Bologne : Un vieux Satan est déguisé en touriste. Quel est le masque qui vous vient à l’esprit tout d’abord ? C’est plutôt un Satan ou plutôt un touriste ?
Philippe Adam :
Je n’ai pas le sens du personnage. C’est plutôt sur le mode du jeu. Le côté Satan peut-être car il faut que ce soit violent. J’aimerais écrire un texte du côté du bien avec des gens qui sont bons mais c’est dur pour moi.

Propos recueillis par Brigitte Aubonnet 
(07/06/09)    



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Editions Verticales

160 pages - 20 €


18e Prix Renaissance
de la Nouvelle