Collection

Le Pavillon des Ambulanciers




En 2005, quatre auteurs étaient en résidence d’écriture au Pavillon des ambulanciers de l’hôpital psychiatrique Esquirol de Limoges et en 2006 trois auteurs étaient en résidence au centre hospitalier de Guéret. Ces deux résidences se situaient dans le cadre du projet « Un mot pour un autre » produit par la Compagnie du Désordre, avec le soutien du Ministère de la Culture, de l’agence régionale d’hospitalisation du Limousin et du centre hospitalier de Guéret.
La collection Le pavillon des ambulanciers est parue aux Editions Le bruit des autres.

Le texte de Daniel Soulier donne à réfléchir sur notre société, sur les dérives et les dysfonctionnements. Par souci d’économie, l’hôpital embauche des médecins, des chirurgiens, des infirmières de l’étranger. Ils sont payés moins chers mais plus que chez eux et la santé des français est ainsi garantie mais ils doivent subir les règles qui leur sont imposées :
Il vit, en fait, à 37 ans, comme vit un interne, un médecin novice en fin d'études.
On lui refuse obstinément un visa pour que sa femme et ses enfants puissent venir passer les vacances en France. Il passera donc l'été seul, sans famille. Aucune raison n'explique ce refus.
Voilà un homme, hautement qualifié, indispensable au fonctionnement d'un service de chirurgie, qui a tous les devoirs d'un citoyen français et s'en rend digne chaque jour, à qui l'on refuse le droit d'embrasser sa femme et ses enfants.
C'est profondément révoltant.
Il faut remonter aux temps de l'esclavage pour voir un être humain privé par force de l'affection des siens.

La société ne progresse pas toujours.
Des moments très forts de vie, de naissance, de mort, de technologie, d’humanité pour décrire cet univers si particulier qu’est l’hôpital.
Une maman aussi, c'est beau. Elles sont tant épuisées par l'enfantement qu'elles ne trouvent pas la force d'exprimer leur bonheur. Alors le bonheur se débrouille pour sortir tout seul, en désordre, un peu brouillon, un peu confus; un mélange de larmes et de soupirs et de sourires crispés. La frustration aussi apparaît, la frustration du ventre vide. La fin d'une chose et le début d'une autre, encore inconnue.
Un lieu où l’intensité du vécu renforce terriblement les liens comme cette infirmière et cette aide soignante qui connaissent tout de leurs vies mutuelles car elles font les nuits ensemble à l’hôpital mais ne se rencontrent jamais en dehors de l’hôpital. L’amitié est réservée à ce lieu où l’essentiel nous rejoint : nous ne serons jamais que des mortels.

Marie Cosnay dans ce même lieu nous entraîne dans une enquête policière sur des crimes dont la mise en scène joue un rôle essentiel.
Nous avions fait de petites fiches sur papier bristol. Quelque chose me gênait, ne collait pas. Le conservateur de musée et le notaire. Entre la mort criminelle de l'un et celle très différente de l'autre, je ne trouvais pas de pont. Si ce n'est l'histoire des trois dents, et de l'arrangement, si l'on peut dire, non esthétique mais presque, des corps au moment de la mort. Des figures de la mort. M. Lamireau avait mains et pieds attachés, cœur percé. M. Félix, trois dents symétriquement dans le crâne fichées. Nous déplacions les fiches, faisions à notre tour des compositions esthétiques.
[…]
Les empreintes collées sur la peau du gant furent moulées puis imprimées. Ça a été un sacré travail. Et c'est indéchiffrable, fait de graisse de bête et d'acides mêlés. Tous coupables. Ou personne.

Les personnages sont troubles, énigmatiques et nous ne savons pas vraiment où se situe la réalité des faits.

Filip Forgeau nous transporte sur son atoll dans les pensées intérieures d’un être qui a du mal à délimiter la frontière entre le monde réel et la folie, entre le dedans et le dehors. Nous retrouvons son extraordinaire écriture où les mots sont de véritables patinoires qui nous font glisser d’un univers à un autre :
Il en est donc le milieu. L'entre-deux. Il est un peu le « DES » entre « ETAT » et « LIEUX ». Les dés sont jetés, comme l'on dit.
Jetés en plein milieu.
Nous ne sommes pas encore au bout de la jetée. Mais nous ne sommes plus à son début non plus.
Nous sommes donc en plein milieu de la jetée.
En pleine tempête en quelque sorte.
Mais encore faudrait-il pouvoir démontrer que la tempête s'y jette forcément, en ce plein milieu de la jetée.
D'ailleurs — et aussi — la jetée peut être vide, déserte, désertée.
Au pavillon des ambulanciers, je suis donc un homme posé là. Presque jeté. Mais pas fou, a priori. (Mais il faut se méfier des a priori. Et aussi des hommes posés là, comme jetés négligemment sur la jetée déserte, ou désertée.)

L’émotion et la sensibilité sont toujours très présentes avec la voix si particulière et si touchante de cet écrivain :
Dans un grand silence, le médecin chef me regardait avec des yeux exorbités de poisson porc-épic et d'un air encore plus grave que lorsque j'avais commencé mon récit.
- C'est pas un rêve, il avait dit d'un ton sévère, c'est un véritable naufrage.
Et il avait conclu :
- Vous avez complètement dérivé.
Là, je m'étais juste demandé, en même temps que la petite voix à l'intérieur de moi, s'il ne disait pas ça juste parce que mes rêves étaient plus beaux que les siens.


Nous attendons avec François Chaffin un ambulancier qui n’arrive pas. Nous passons d’une écriture poétique à une écriture théâtrale, aux jeux autour des mots ou des titres, de l’étymologie.
Je repense à l'étymologie du mot fou : il viendrait de feu, du brasier qu'on a dans le corps, dans la tête, ventre et cœur, le grand incendie. Le feu des enfers, le diable en personne qui habite à l'intérieur de toi, ton petit home bien capitonné d'habitudes, tout brûle alors, tu fais la connaissance du malin, il te consume un peu plus chaque fois qu'il te parle, chaque fois que tu t'y abandonnes.
La peur, l’autoportrait, l’inventaire nous emmènent voguer dans un livre exercices de style ayant pour théâtre l’hôpital psychiatrique.

DEDANS / DEHORS
Deux dents, dehors
- J'ai deux grandes dents ! (dit le lapin à son psychiatre) deux grandes dents dehors qui me donnent l'air d'un fou je n'en peux plus docteur (dit le lapin à son psychiatre)
changez mes deux dents pour un nouveau dehors ça me rend dingue
vous comprenez
je ne sais plus qui je suis
et si ces deux dents sont mon dehors
ou si mon dedans n'est qu'un décor alors alors
docteur
vous allez m'aider ?
(interroge le lapin qui prend maintenant son psychiatre pour un dentiste)


De ce lieu Pascale Lemée en fait le tour. Après la découverte, les rencontres, le temps qui s’égrène, l’angoisse, la peur, la fatigue elle recueille les choses vues et entendues. Les malades, les artistes, le personnel se côtoient pour partager et échanger. Dans ce lieu étrange beaucoup de sentiments, de solitude, d’attentes :
C'est un entre-deux, un temps transitoire qui ouvre sur tous les possibles, comme sur le rien, le vide absolu.
J'aime les aéroports, les gares, les parkings et les ports, mais je ne suis pas plus en attente de quelque chose ou dans l'attente de rien dans ces endroits que je ne le suis dans mon appartement, une laverie automatique, un bar, un supermarché, une chambre d'hôtel.
Là où je me tiens j'habite et le temps qui en moi s'inscrit, qui sur moi passe ou m'oublie, est « entre » toujours, entre rester ou partir, vivre ou mourir, aimer ou me taire, entre un homme ou une femme, écrire ou ne pas écrire...
Et de même ici je suis entre la folie et la mort, la raison et le désir, l'envie et le dégoût, temporairement arrêtée dans une ville prise entre Paris et cette autre là-bas en bord de mer que bientôt je rejoindrai... mais ici comme là-bas de passage je suis, et serai... et « entre » encore, je serai.

Lieu de transit ou lieu de vie à vie et toujours ce dehors et ce dedans qui parfois devient une obsession.

Tous ces textes sont chargés d’humain, de souffrance et de bonheur. Chaque écrivain avec ses mots et son univers nous a entraînés dans des expériences de vie très fortes qui ne laissent pas indemne.

Brigitte Aubonnet 
(03/12/07)    



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En couverture,
une peinture de
Christian Viguié