Retour à l'accueil du site





Pierric BAILLY

Polichinelle


Voilà, en direct, façon mi-rock'n roll mi rap, l'histoire d'un groupe de jeunes issus de la classe moyenne, âgés de 15 à 18 ans, exilés au fin fond du Jura.
« Ici c'est minuscule, c'est l'est de la France, pas l'east coast du Wu-Tang Clan, ça raille et puis ça trouille. »
Il y a Johannes, Diane, Laura ou Jules, Charlotte qui rêve de fouler un jour le tapis rouge des marches du palais du festival de Cannes et, dans la peau du narrateur, Lionel, étudiant intermittent d'une vingtaine d'années, fasciné par ces traces d'adolescence et d' inconscience qu'il retrouve auprès d'eux.
« Esthète des States, j'ai la cervelle en strates de steaks hachés. Je suis la brute au béret et à la baguette. Lionel à la baguette, à la place de la Kalachnikov. Un révolutionnaire à cinq francs, l'étoile sur le béret c'est la polaire. C'est le Jura l'hiver et il fait froid. (...) Je suis le chat. Le gros minou qui veille en sage sur ses bébés. De la marmaille un peu frappée qui parfois arrache pire qu'un pot de moutarde Maille avalé le nez bouché. »
« Admirez ce souffle passionné, cette fougue, cette énergie. L'opéra gosse. Des gamins en vitrine. Admirez ces corps en mutation, soyez fascinés par cette absence totale de logique qui guide leurs mouvements, par cette audace, ce culot. Comme si je disais : admirez, soyez fascinés et allez vous faire foutre. Comme si j'étais un rebelle. On se promène, voilà. »

Le nuage de Tchernobyl est passé tout près de là et ils sont tous affublés de difformités diverses : jambes élastiques, yeux qui bavent, cul à la place du ventre, nez expansionniste ou tulipes naissantes dans le dos. « Moi, je suis la tête du tagazou. Je ne suis pas le monstre tout entier, je suis la tête, je suis son nez. Diane ses yeux et Johannes les épaules et les bras, et les couilles aussi, et Jules le ventre, Charlotte les jambes, Laura les pieds et les mains. »
C'est les vacances et ils s'ennuient. Les seules distractions consistent ici à mater les touristes hollandais qui envahissent le camping du bord du lac chaque été et à se castagner avec la bande rivale, « les barbares de Foncine ».
Entre temps, ils écoutent du rap, rêvent d'ailleurs, fuient dans l'alcool, le sexe et le shit, s'empressent de tout casser et font des conneries, graves, qui vaudra à cette « bande de tagazous » la une du journal local. Alors, c'est « comme une fin d'épisode de série américaine. Comme un fondu au noir en pleine scène d'action dans un dessin japonais. »

Une plongée dans l'atmosphère et la culture lycéenne d'aujourd'hui, entre agressivité et tendresse, qui révèle une vacuité et un positionnement teinté de "no future" qui pourrait incarner de façon outrancière le désarroi d'une partie de cette génération, marginalisée, se considérant sans avenir et laissée pour compte. « Je me suis mis à penser que passé dix-sept ans les êtres humains étaient périmés. Pour certains c'est quitter les parents, la fac, pour certains c'est vite se marier, au moins se maquer, faire des gosses ça c'est le pire, c'est travailler tout de suite, en apprentissage ou dans un magasin de fringues ou dans le social. »
Une chronique sociale à la "Orange mécanique" de Stanley Kubrick où la violence et le désespoir se conjuguent avec une telle imagination que parfois on se surprend à rire et à douter. Et si, face aux morts qui s'additionnent, ce délire total – cadavre de chien ramassé au bord de la route pour nourrir les piranhas de l'aquarium, sirène en vitrine nageant dans ses bulles de savon, paralytique en brouette remis sur pieds par un innocent baiser, face à face saugrenu entre le docteur indien et le docteur cow-boy – n'était finalement qu'un tissu d'hallucinations collectives dues à l'effet d'une substance illicite ?

Mais surtout il y a l'inventivité d'une langue en parfaite adéquation avec l'histoire elle-même. Pierric Bailly explore avec bonheur le territoire de l'expression protéiforme et rebelle de la jeunesse contemporaine où tant d'autres se sont fourvoyés. Il s'approprie le langage oral mouvant, rythmé de toute une génération, avec ses termes d'argot, ses néologismes, ses anglicisme et ses métaphores, les mélange avec des survivances d'expressions paysannes jurassiennes, celle de son enfance, pour créer des dialogues vifs, rythmés, ludiques, décalés qui ajoutent au surréalisme de certaines situations.
Un récit déstabilisant, souvent drôle, parfois féroce, qui, quand tout s’accélère, bascule dans une folie teintée d'érotisme et de poésie.
Un premier livre détonnant, singulier, entre malaise et rire, qui porte la marque d'un auteur à suivre. Une des bonnes surprises de la rentrée littéraire de cet automne.

Dominique Baillon-Lalande 
(29/01/09)    



Retour
Sommaire
Lectures









Editions P.O.L.

(Août 2008)
234 pages - 15 €




Folio

(Février 2010)
224 pages - 6,50 €













Pierric Bailly
est né en 1982
dans le Jura.
Polichinelle
est son premier roman.