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L'intégrale des haïkus
Je veux les mêmes choses Avec Bashô, seigneur ermite, les éditions La table
ronde font paraître un livre remarquable et cela à bien des égards.
C'est la première fois que l'intégrale des haïkus de Bashô
est présentée dans une édition bilingue. La traduction
est due à Makoto Kemmoku et Dominique Chipot. Les 975 haïkus obéissent
à un ordre chronologique ce qui nous permet de suivre le parcours poétique
et mental du grand maître de la poésie japonaise. Mais avant tout,
il faut souligner le travail raffiné et précieux, la manière
délicate dont les poèmes s'offrent à la page. Le texte
original et sa transcription phonétique se démarquent grâce
à leur couleur verte et introduisent en quelque sorte ou mettent en écho
le poème traduit. La note sur l'introduction nous indique quelle ligne
de conduite fut choisie : Qui peut aimer Bashô se désolidarisera petit à petit des conceptions hégémoniques de son époque. Il contestera la rigidité de l'école du Teimon à cause de ses règles immuables qui empêchent l'avènement sensible du poème et celle du Danrin à cause de ses excès inverses. En effet pour Bashô, la radicalité ne se réduit pas à un écho inversé ou négatif de ce que l'on critique mais elle doit proposer une véritable orientation, ouvrir de nouvelles voies. Il tiendra à distance la rigueur aveugle et l'insipide facilité, une fausse querelle en somme ne débouchant que sur la superficialité. La vérité se déplace avec la vérité, avec ce que l'on est et ce que l'on doit devenir face à une chose de peu : des souliers de corde, un iris, le froid, un piment, le cri d'un faisan Le non-savoir est un véritable savoir bien plus puissant que les promesses d'un apprentissage ou que l'abandon réactif et limité de celui-ci. Bashô créera sa propre école : le Shômon (école de l'authenticité). Il développera une théorie esthétique alliant la connaissance profonde de l'être avec la découverte incessante de la nature, agençant ainsi les lois subtiles de la permanence et de la métamorphose. La notion existentielle et poétique du fueki-ryûko (l'invariant et le fluant) s'affirmera comme une dimension essentielle qu'il déclinera tout au long de son uvre future. La structure transparente du poème est sa réception, la fidélité du moment qui englobe la modification de l'être au contact de l'étrangeté renouvelée du monde environnant. Le même arbre, le même geste, un parfum ou un bruit, réitèrent le connu et l'inconnu. Le poème valide notre disponibilité face à l'émergence du quotidien. Si l'on admet couramment que Bashô est un poète de l'errance, encore faut-il s'entendre sur ce terme-là. En 1682, il entreprend son premier voyage dans la province de Kaï, année où un terrible incendie détruira son ermitage. Il a trente-huit ans. Entre-temps, cet homme qui a changé tant de fois de noms (Kinsaku, Munefusa, Sôbô, ToseÏ) deviendra Bashô. L'évidence et le hasard sont à l'origine du sobriquet. Un de ses disciples, Rika, lui avait offert un bananier. Pour les coutumiers, l'ermitage deviendra le bashô-an (l'ermitage au bananier) et son résident Bashô, le Maître "bananier". Bashô acceptera cette ironie à la fois humble et douce, se transformera en ce qu'il a maintes fois regardé comme si le regard et l'arbre, l'étonnement et la durée, définissaient l'homme et son quotidien à sa juste mesure. Il partagera son existence entre de longues pérégrinations et d'austères séjours dans différents ermitages. Un de ses périples, le plus audacieux, près de 2300 kilomètres, le mènera jusqu'aux provinces du Nord à Hiraïzumi. Bashô est le poète du voyage et de l'immobilisme. La découverte
n'appartient pas à l'extraordinaire, à l'exotisme qui risquent
de voiler la présence surprenante du moindre fait ou du moindre objet.
L'apparition du monde dicte à un moment précis ce que nous sommes.
C'est l'intensité des choses muettes ou infiniment répétées
qui nous porte attention, nous convoque. Quel que soit l'endroit. Ce maillet Il n'y a pas besoin forcément d'une mutation, d'une transformation de la matière en vue d'un quelconque usage. Il y a voyage parce que les choses sont ce qu'elles sont et qu'elles se définissent non seulement à travers les multiples rapports que l'on entretient avec elles mais bien parce qu'elles instruisent d'autres correspondances, d'autres alliances, en dehors de la captation humaine. Les silhouettes des iris
Entre le reflet des iris et les iris, il existe un voyage parfait, une sorte
de parcours tautologique où l'illusion, la fiction visuelle a besoin
de la réalité. Il semblerait que c'est toujours le réel
qui rêve, à la poursuite de lui-même, délivrant un
espace apaisant bien avant et malgré les mots des hommes. Avec Bashô, la poésie japonaise du XVIIe siècle aura atteint ses plus hauts sommets et ses dissidents (Kakeï, Ochi Etsujin, Okada Yasui) malgré leur désir d'autonomie ou ceux qui suivront scrupuleusement l'héritage spirituel du maître, peineront pour s'affranchir ou égaler une poésie d'une telle portée. Christian Viguié |
sommaire Poésie La Table Ronde 480 pages - 25 € Édition bilingue par Makoto Kemmoku et Dominique Chipot Bashô (1644-1694) Page consacrée à Bashô sur Wikipédia |
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