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Paul BÉLANGER

Répit




"j'ai appris à vivre à l'infini
le moindre éclat du monde
clos sur lui-même
non comme un tombeau mais
comme les prémices d'un paysage
" p 61

A la lecture de quelques vers seulement, on ne peut s'empêcher d'affilier les poèmes de Paul Bélanger à ceux de Follain, Guillevic, Jaccottet, à cause d'une âpre rigueur qui se dégage et sert de rabot au trop-plein de la langue. Ecrire consiste à épurer, à user les mots comme le fait la mer avec les galets. Les mots n'ont pas besoin de leur éclat, de leur magnificence, mais de leur poids exact. Ils savent ce qu'ils sont et n'ont pas à aller quérir une vérité toujours éperdue au-devant d'eux. Ils portent leur propre évidence. Il convient déjà d'écouter ce qu'ils nous disent, de louer leur patience car "Somme toute c'est comme si l'humain était l'artefact de la langue" p17. Ils savent mieux ou avant nous. Il existe donc une sobriété de la langue, une mesure juste- peut-être en dehors de nous- opérant un subtil décalage avec nos émotions ou nos sentiments que le poème s'évertuera à combler. Il semblerait que chez Paul Bélanger, les mots appartiennent à la matière et qu'ils en possèdent les qualités physiques. Ils ne sont pas au-dessus des choses, ils sont la réflexion humble des choses. L'immense travail est de se mettre à leur portée.
Il y a une volonté du poète de dégager le poème de tous ses effets autant oratoires que visuels. Conformément à Fenêtres et ailleurs, recueil dont la seconde partie acceptait avec parcimonie les majuscules, ce présent ouvrage suit une voie identique. Nul besoin de fioritures ni de marques introductives comme si les êtres et les choses n'avaient à revendiquer que leur étrange égalité, leur degré de concomitance. Ensemble, nous témoignons d'une même présence au monde, d'un même recommencement. Et il y a quelquefois un étonnement sans la marque d'un étonnement à certifier ce que le monde est :

"rien ne lui est plus beau que cette mare sombre/qui s'étire comme un chat…"p10

Cette confiance quasi pongienne aux mots ne se duplique pas et ne recouvre pas pour autant la confiance que nous pourrions accorder à la vie. Autre paradoxe, sans doute le plus important, est que la vérité des mots ne garantit en rien la vérité d'expression. Une dimension de l'être paraît se dérober malgré la viabilité et la certitude qu'ils peuvent apporter. S'instaure un rapport mutique et cependant agissant entre une précision souhaitée et une indétermination réelle. Cette indécision est une autre forme du réel, sa part vacante, une possibilité que celui-ci à de se promouvoir en dehors de la pensée spéculative. Peut-être, faut-il imaginer un tableau de Turner où les éléments repérables auraient à répondre ou deviendraient prétextes à une réalité plus ample échappant aux lois strictement figuratives. Les mots sont vrais dans une dimension qui ne les accepte pas complètement et il y aurait une discussion permanente entre le paysage mental et le paysage physique, une imprégnation de l'un et de l'autre, vérités interchangeables qu'il faudrait remettre sur pied.

"…quelle nature de peintre
pourrait rendre cette subtile évanescence du
dehors On y viendrait mourir Raconter cette
histoire pour ouvrir un accès Il reste tant de
questions Je me trompe de lieu j'arrête Je sors
voir les milliards d'étoiles Ainsi vu en coupe on
ne s'étonne pas de se croire au centre alors qu'on
se trouve dans une périphérie extrême…
" p14


Quelques fois, tout fait paysage, des éléments extérieurs ou intimes comme la solitude humaine et cela jusqu'à la fusion ou la disparition.

"aucun cri - seules les paroles secrètes de l'aube
éprouvées dans la solitude de son corps
jettent sur le sol leurs poussières brûlées

des paysages sans queue ni tête
- Une fois j'y disparaîtra
i" p11

Se fondre dans le paysage prend donc un sens radical. Le poète utilisera de nouveau dans un autre poème ce même avant-dernier vers, en appuyant cette fois-ci sur la complexité aveugle du monde, sur ses possibilités mortes et sur son pouvoir de dislocation qui atteindrait jusqu'au langage :

"Le paysage est sans queue ni tête, comme un
arbre solitaire affronte le vent. Il y a tellement de
bifurcations dans une seule aventure : un mot seul
s'y perd.
" p43

Face à ce paroxysme où "La chimie de ce monde pense-t-il tient/d'un chaos tourné vers l'unité…" p32, face à ce danger d'être happé comme une couleur pourrait l'être au milieu de la profusion d'une multitude de couleurs, quelquefois il y a discordance. Si l'on admet que le paysage "parle", le murmure prégnant du paysage n'envahirait pas la parole à trouver. Cet écart qui est l'impossibilité de dire le monde crée en même temps un espace salutaire. Les mots reprennent de leur puissance à l'instar de pierres milles fois rencontrées et ignorées que l'on aurait aperçues sur le chemin. Ils résistent à cause de l'imperfection du monde et de son implacable leçon. Ils sont à la fois objets vrais, finis, comme peuvent l'être un banc ou une table, une simple rose, et leur essence est de ne promettre que ce qu'ils sont, enfermés dans leur patience dissidente. Il y a un poème exemplaire qui nous prouve cela :

"tu es allé chercher une cigarette
à la cuisine et au passage
tu as ramené un exemplaire
de l'art poétique de Guillevic
que ces derniers mois tu relisais
Paroi si simple et limpide
dans la coulée lointaine
de sa langue depuis la dernière
ligne tu as allumé la cigarette
et t'es remis à la tâche…
" p15

Le plus grand poème serait d'attester de la prose du monde, d'atteindre une évidence où fulgurerait la beauté élémentaire des gestes et des choses. Il y a chaque fois beauté chez Paul Bélanger lorsque les mots, les objets, une couleur, un sentiment, atteignent leur limite bouleversante, autrement dit une pacifique neutralité.
A de rares instants, nommer le visible, l'alentour, échappe à la promesse d'un mystérieux engloutissement. Tiendraient en même temps quotidien et langage, ce qui apparaît hors de nous et à l'intérieur de nous. Se vérifieraient aussi un luxe inouï et apaisant, une tranquillité entière, envers ce qui existe, affirmant que chaque élément possède en lui les signes d'une incroyable veillée. Voilà pourquoi "La terre forme les mots" p13 et qu'il suffit de désigner ce que l'on a devant les yeux :

"la côte est visible ce soir
la lune au quart pleine monte
jetant sur le fleuve son cône
de lumière crayeuse qui descend
sur la nappe noire
" p25

Avec Paul Bélanger, se concrétise un fabuleux pari : celui de marcher, de rire, d'écrire, d'écouter, de regarder… d'habiter des verbes simples et élémentaires puisqu'avant tout nous sommes "les prémices d'un paysage".

Christian Viguié 
(20/05/12)    



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Poésie










Éditions du Noroît

64 pages - 11 €













Paul Bélanger,
né au Québec en 1953, est poète et directeur littéraire des Éditions du Noroît.