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Ce livre d'une centaine de pages est surprenant. C'est la révolte et la rage qui ici éclatent dans ces conversations
amicales rapportées par le jeune garçon à l'affût.
"Ton grand-père n'est pas différent des autres. Les hommes,
en dehors de leur ventre ou de leur zob, ne s'intéressent à rien
sinon à détruire d'une main ce qu'ils viennent de construire de
l'autre." Des propos féministes où frustration et haine
des hommes et de cette société qu'ils ont bâtie pour les
enfermer, s'exposent au grand jour. "Ce qu'on cache, ce qu'on retient
en soi trop longtemps, sortira un jour ou l'autre comme une explosion."
Féroce ! Tout est observé, transmis, par un enfant narrateur, à l'âge
où il lui faut quitter, avec difficulté et regret, le royaume
des femmes pour intégrer celui des "mâles", un gamin
solitaire et étrange qui explique qu'il "n'aimait pas jouer avec
les autres enfants", qu'il ne "partageait rien de leurs goûts,
de leurs envies, de leurs cris, de leurs brusqueries", un gamin qui
"ne vivait pas comme un enfant". Il semble ici que si les femmes s'autorisent ensemble à laisser libre
cours à leur gourmandise, à leurs cajoleries, à leurs rires,
c'est par exutoire pour ne pas devenir folles, hurler dans les rues de la ville,
tuer leur maris tyranniques ou pour simplement parvenir, par cette solidarité
féminine, à survivre. Pas du bonheur non, pas uniquement l'oasis
qui permet de se reposer avant de reprendre la piste, mais aussi le creuset
de la rébellion en marche. Face à la violence faite à ces
femmes par des hommes apeurés et eux-mêmes interdits au plaisir,
ces épouses, veuves, femmes répudiées ou abandonnées,
jeunes filles négociées en mariage comme une marchandise, à
coup de fantasmes de castration, de trahison ou de meurtre, à leur façon,
symboliquement ou non, se vengent. Violemment. "Son mari la battait
tellement, à lui faire voir les étoiles à midi ! [...]
Dehors, c'était un homme pieux et respecté, il allait à
la mosquée tous les jours, mais comme les autres, les femmes il les haïssait
! [...] Elle a fini par craquer et a remplacé le curcuma dans son couscous
par de la mort-aux-rats, l'a observé froidement hurler de douleur puis
l'a émasculé et découpé en petits bouts pour les
jeter dans les latrines turques désaffectées derrière la
vieille mosquée." A l'image de Fella "la mangeuse d'hommes", de Nafissa, méprisée
et célibataire, qui fume et se permet de boire dans les lieux publics,
de Jamila la sensuelle, qui déjà refusent le joug que les mâles
leur imposent, la mère de Hadachinou et les autres, dans ce Tripoli des
années soixante, dans cette Lybie puritaine et violente, n'acceptent
pas leur sort. Elles s'autorisent encore à croire à l'amour et
espèrent déjà un autre monde où, esclaves affranchies
enfin, elles auraient les mêmes droits que les hommes. Un rêve si
fort, qu'elles pourraient se battre, un jour, pour le défendre. Elles sont arabes, juives, africaines, se ressemblent, sont solidaires, savent,
dressées silencieusement contre les machos qui croient les soumettre,
que le pays s'en porterait mieux si elles y avaient une vraie place. Tant bien
que mal, elles résistent et attendent leur heure... Hadachinou, lui, découvre aussi à travers ce gynécée,
un monde plein de générosité, de malice, d'appétit
de vie et de légendes dont, jamais, il ne perdra le souvenir. "Sur
la route, il n'y a pas de sens, tout sens est songe, mensonge. Il n'y a que
la terre et les cieux, ces petits silences, qui parlent. Tu n'es qu'un regard,
alors ouvre les fenêtres de tes yeux. Il n'y a que tes yeux pour t'envoler,
tes cils sont tes ailes et ton regard est ton visage, habiter son visage, s'envoler,
arriver au pays, changer de rêve, de rivages..." lui dira Hadja
Kimya, la sorcière noire, un soir... Tant de propos dont il pressent
l'importance sans les comprendre toujours. L'auteur né en Libye, exilé en Europe depuis 1970, rend ici un
merveilleux hommage à ces femmes cloitrées, méprisées,
battues, victimes des barbelés qui marquent la frontière entre
le monde des hommes et celui des femmes dans une société archaïque
et appauvrie intellectuellement. Mais derrière la souffrance des victimes,
il laisse entrevoir l'énergie et la patience qui pourraient bien, un
jour, changer là-bas le cours des choses... Un livre de violence et de
lumière rempli d'espoir et d'humanité. Un autre regard. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Éditions Elyzad 112 pages - 14,90 €
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