Véronique BIZOT

Les sangliers


Des nouvelles étonnantes où se mêlent le désespoir, l’ironie grinçante, l’originalité des thèmes et de l’écriture, un rythme propre à Véronique Bizot qui pour son premier recueil a su trouver une voix et une voie. Un couple dans un box parle à un embryon, imaginaire ou réel, pour persuader celui-ci qu’il va naître dans une famille très correcte. Au fil de la nouvelle toutes les contradictions des futurs parents se révèlent dans toute l’horreur de leurs pensées profondes et du fonctionnement parfois absurde de notre société. Au bord d’un lac, deux hommes échangent sur leurs vies et leurs possibles suicides : « Quelque chose prend lentement forme entre Walser et moi, sans qu’aucune question soit posée, comme si notre injustifiable présence au bord de ce lac suffisait à nous définir. » Un homme téléphone à sa sœur pour son anniversaire alors qu’ils étaient fâchés depuis quatre mois. Au fil du monologue de cet homme se révèle la relation qui existe entre sa sœur et lui. Une nouvelle à la Buzzati termine le recueil : « Je lis que l'homme est assis sur un banc. Mon premier réflexe, étant moi-même assis sur un banc, est de refermer le livre. Ce n'est pas un livre que j'ai acheté, il y a bien longtemps que je ne lis plus, convaincu du propos selon lequel le mélancolique est un homme qui lit trop et gagnerait à laisser son regard errer en direction du vide. J'ai trouvé ce livre sur le banc où je suis assis. Il me semble qu'il n'y était pas lorsque j'ai pris place sur ce banc, mais présumant qu'il n'a pu tomber de l'arbre – presque toujours un arbre au-dessus d'un banc mais rarement des livres dans les arbres – j'imagine que je ne l'ai tout simplement pas remarqué en m'asseyant. Il s'agit d'un très petit format à la couverture cartonnée, d'un maniement malcommode, difficile à maintenir ouvert. Un titre abscons. Tout de suite il y est question d'un homme assis sur un banc, ce qu'aussitôt je déplore, étant bien placé pour savoir que l'on peut craindre le pire d'un homme assis sur un banc et par conséquent d'un livre qui envisagerait dès son commencement une telle posture. Comme moi, l'homme du livre ne peut être assis que sur un banc public. »
Des univers très différents et passionnants à découvrir d’une nouvelle à l’autre et un écrivain à suivre et à continuer à lire.

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Cet ouvrage a reçu le Prix Renaissance de la Nouvelle 2006

Le Prix Renaissance de la Nouvelle existe depuis quinze ans et cette belle aventure continue à Ottignies en Belgique avec beaucoup d’énergie malgré les difficultés financières. Michel Lambert poursuit son engagement bénévole ainsi que les membres du jury pour défendre la nouvelle. Sont récompensés des auteurs confirmés et reconnus mais aussi de nouveaux auteurs comme, cette année, Véronique Bizot dont le premier recueil, Les Sangliers, a été publié chez Stock. La soirée du samedi 27 mai a été l’occasion de quelques échanges entre les membres du jury et la lauréate.

Michel Lambert : c’est un recueil qui montre une grande virtuosité technique. Véronique Bizot a un regard féroce, mordant, drôle, cruel et original. C’est son premier livre et elle a réussi à créer des univers inquiétants, étranges, toujours décalés. L’écriture est souple et libérée et la première nouvelle donne bien le ton de la musicalité du recueil.

Alain Absire : il est plusieurs fois question d’architecture dans votre recueil ?
Véronique Bizot : je pars souvent d’un lieu, non défini, parfois le lieu est le personnage principal. Ce sont souvent des lieux qui enferment ou peuvent anéantir. Ils donnent la psychologie du personnage. Je les imagine en premier puis les personnages arrivent.

Alain Absire : vos personnages sont souvent enfermés dans des lieux mais même à l’extérieur puisqu’un lac peut être menaçant. Vos personnages ne sont pas sauvés.
Véronique Bizot : Non, tout a eu lieu pour eux depuis longtemps. Et sans doute ne tiennent-ils pas à être sauvés.

Claude Pujade-Renaud : il y a une jubilation extrême à lire votre recueil avec la férocité et la cruauté qui peuvent devenir drôles. Vos univers sont souvent « bétonnés » mais plusieurs de vos personnages sont liés à la musique ?
Véronique Bizot : De tous les arts, le processus de création musicale est celui qui m’est le plus étranger. Et le plus fascinant.

Marie-Hélène Lafon : comment expliquez-vous dans votre texte le surgissement récurrent du sauvage par le truchement des bêtes car plusieurs fois des animaux interviennent dans vos nouvelles ?
Véronique Bizot : c’est une question de psychanalyste ! Les sangliers qui traversent le livre ont probablement à voir avec l’idée de destruction. Il y a des vies saccagées, comme la terre après un passage de sangliers.

Jean-Claude Bologne : il n’est pas si fréquent qu’on ouvre un recueil et que l’on se dise, c’est celui-là. Peut-on passer à côté de son propre gouffre ? Comment réagissent vos personnages à cela ?
Véronique Bizot : Ils n’ont pas un destin particulier mais ont tous la conscience de l’acceptation de ce gouffre. Mais on vit peut être mieux si l’on n’en est pas conscient.

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Quelques réponses pour Encres Vagabondes.

C’est votre premier livre publié mais est-ce votre premier écrit ?
Non, mais avant ce livre, j’écrivais pour moi, sans penser être publiée.

Pourquoi des nouvelles ?
Pour ne pas raconter d’histoire, parce que ça m’évite de scénariser. La nouvelle permet de mettre en scène, dans un temps très court, une situation qui contient toute une vie. Sans se préoccuper de chronologie. Le temps de la nouvelle autorise également des situations extrêmes qui sur le temps d’un roman deviendraient peut-être pesantes, ou artificielles, en tout cas plus difficiles à gérer.

Certaines de vos phrases sont très longues et une cassure apparaît. Cela donne un souffle très particulier et très entraînant à la lecture. Comment concevez-vous vos nouvelles ?
A partir d’une première phrase, sans jamais savoir ce que ça donnera. Je ne démarre pas avec un sujet en tête.

Ont-elles été écrites sur la même période ou sur des périodes différentes ?
Sur une même période, peut-être six mois.

Brigitte Aubonnet 
(07/06/06)    



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144 pages - 13 €