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Robert BOBER quand on a une fois ouvert les yeux
Bernard, à pied, inlassablement, hante Paris, Oberkampf, Belleville et le boulevard Saint-Martin dont il connaît nom et emplacement de chaque boutique, notamment le numéro 29 où naquit l'inventeur du cinéma Georges Méliès. Une ville en noir et blanc à la Doisneau où le jeune héros profite des hasards de la vie comme de cette "occasion de l'instant" qu'évoque Jankélévitch. Il y croise toutes sortes de gens, tisse des liens et ces rencontres vont indirectement être comme des balises sur le chemin de son apprentissage de la vie. Flânerie et plongée dans le passé le mèneront du Paris de la guerre et de l'après-guerre au camp d'Auschwitz en passant par Vienne et Berlin, mêlant les "petites" histoires du personnage à la grande. D'échanges fortuits en rendez-vous, de souvenirs en souvenirs, ce sont les chapitres d'un manuel d'Histoire qui se découvrent à lui. Comme un livre qu'il feuilletterait, s'ouvrant sur la Commune de Paris du Mur des Fédérés aux chansons de Bruant, sur l'affaire Dreyfus, sur la guerre de 40 et l'arrestation des juifs vues à hauteur de saltimbanque de cirque ou d'un gardien d'immeuble, sur la guerre d'Algérie et les attentats de l'OAS, sur les morts du métro Charonne et les manifestations... C'est à Auschwitz que Bernard, parvenu alors à l'âge de ses propres choix, finira par retrouver son père : "Sur cette photo considérablement agrandie, mon père avait retrouvé sa dimension d'homme. Nous étions là, ensemble, debout, tout près, l'un en face de l'autre, dans la même immobilité. Nous avions le même âge. Il me souriait." Robert Bober nous offre avec ce roman une partition à entrées multiples ou s'entremêlent, au fil des souvenirs, introspection personnelle et familiale et Histoire éclatée en fragments. Un roman à la fois personnel, historique, populaire, porté par plusieurs voix, où les personnages se retrouvent liés entre eux par des lieux, un passé commun, des rencontres de hasard, des départs, un peu comme dans "le tourbillon de la vie" chanté par Jeanne Moreau dans Jules et Jim. Le cinéma, celui de François Truffaut mais aussi de Casque d'or avec Serge Reggiani et Simone Signoret, celui de Burt Lancaster et Tony Curtis au Cirque d'Hiver dans un envol de Trapèze, celui de Max Ophuls ou des Marx Brothers, enrichit les êtres et leur vie autant qu'il s'en nourrit et la révèle. Il se conjugue ici à la chanson populaire pour esquisser, par des allers-retours imprévisibles, toute la mémoire d'une époque. Ce roman-là entre en parfaite résonance avec les précédents
écrits par l'auteur-cinéaste. On y retrouve les liens affectifs
forts qui unissent pareillement deux garçons face à l'adversité
du destin : Georges et Raphaël, Beck et Berg, Alex et Bernard. Par ses
références au monde du cinéma, mais aussi aux ateliers
de confection ou aux camps de vacances, le récit se nourrit une fois
encore d'une part autobiographique importante. Mais si l'auteur s'intègre
au récit comme personnage fictionnel au même titre que son héros
Bernard, auteur et narrateur se dédoublent en deux protagonistes bien
différenciés. Une technique permettant à l'écrivain
d'établir une distance, d'ouvrir le champ, de glisser d'une vision personnelle,
spatialement et temporellement limitée, à une mémoire collective,
juive ou non-juive, plus largement partagée. Bober, même quand il explore de sombres périodes de notre histoire et les drames personnels qui y sont liés, évite le piège du pathos. Pour que jamais l'émotion ne verse dans le sentimentalisme, il choisit des mots simples et justes, parsème son récit d'anecdotes pleines d'humour, se positionne à cette distance pudique et respectueuse qui peut permettre à un sourire maladroit de cacher les larmes, à un rire qui fuse de détourner l'attention. Ce roman à la fois populaire et raffiné, foisonnant mais cohérent, grave et léger, rayonne d'humanité, de tendresse et de vie. Un beau moment de lecture. Dominique Baillon-Lalande (13/04/11) |
Sommaire Lectures Editions P.O.L. 284 pages - 17 €
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