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Olivier BRUNHES
À l'adolescence, le garçon placé dans une famille en ville, la rage à fleur de peau s'engouffre sur les traces de son père. Des écarts qui le conduiront lui aussi à la case prison à vingt-trois ans. Quatre mois dans une cellule de neuf mètres carrés avec Marco, un petit truand habitué des lieux qui carburent aux amphétamines, à la coke et à la vodka, une grosse brute sans cervelle dotée d'un cur en or, qui l'a pris sous sa protection. L'enfermement lui laisse le temps de réfléchir et quand le jeune homme franchit les portes de l'établissement pénitentiaire, c'est la tête pleine de bonnes résolutions : aller revoir au village "Tante Martine", ses amis, le vieux sage et Grandboche le fossoyeur toujours entre deux vins et surtout, surtout, retrouver Chloé, celle qu'il a quittée peu de temps avant de plonger, sur un coup de tête. Qu'importe si elle n'est pas venue le voir en prison, il l'aime encore et saura se faire pardonner. Il lui proposera même le mariage, un enfant, une vie rangée... Au village, où il se rend tout d'abord, les anciens l'attendent de pied ferme : "Tatine", cachant le cancer qui la ronge à l'intérieur, pour le réconforter avec inquiétude et tendresse, le Teuton pour l'amener à la chasse, le Vieux pour "lui remettre les pieds sur terre [...] le redresser une dernière fois pour qu'il parte dans le bon sens." Dès sa descente du train, le sage ordinairement taciturne le prend donc à part pour lui parler, comme un père : "Tout homme doit pacifier ses traces, même les morts [...] Tout homme doit s'accrocher à quelque chose pour ne pas tomber. [...] Il te faut trouver ta loi. Si on refuse, on reste un gamin, on décapite les fleurs des jardins en pensant remporter de grandes batailles. Il faut ouvrir tes yeux et quitter la dévastation, ne plus être penaud ou trouillard, un pendule suspendu dans la main du destin. Ta volonté et tes actions marquent le principe de ta loi, on est ce que l'on fait." Pendant ce temps, le cuissot mijote chez Martine. Mais Tobias, s'il est touché par la gravité des propos du sage,
par la bienveillance affectueuse de sa maman de cur, par la tendresse
que tous lui témoignent, n'a qu'une envie : filer à Paris revoir
sa Chloé. Alors, il ne reste plus à Dog qu'à continuer sa route jusqu'à
l'adresse que lui a donnée Marco. Celle de sa sur de lait qu'il
a juré de protéger, Lulu, hébergée chez son oncle.
Une gamine qu'on dit "fêlée", dont le parent exploite
la fraîcheur pour arrondir ses fins de mois. Lulu, peu disponible, le
met en relation sur place avec Fortin, un "aristocrate verbal", comédien
et poète, qui l'entraîne dans sa nuit et ses performances. L'homme
discourt sur scène en passant d'un sujet à l'autre, jouant de
la provocation avec brio : "Dans une société qui ne reconnaît
que ce qui est droit, dans laquelle on invente des maisons pour redresser les
torts et les vertus, je vous prie d'avoir une pensée émue pour
les tordus, les bossus, les fous, les poivrots, les excentriques, ceux qui ne
rendent rien de ce qui leur est donné, ceux qui ne foutent pas grand-chose,
ceux qui ne pensent qu'à jouir, à rêver, aux caresses.[...]
N'oubliez jamais que l'erreur crée la vie et l'organisation crée
la mort... Dieu a créé un monde bordélique, mais l'homme
a planifié scientifiquement Auschwitz... Cherchez l'erreur."
Même si Dog le trouve un peu ridicule et ne comprend pas l'intégralité
de ses propos hallucinés, ses paroles résonnent fort en lui quand
il lui dit en aparté : "Les prisons sont pleines de mecs impatients",
"Tu n'es qu'à moitié vivant, jeune homme, mais ta moitié
vivante doit rester la plus forte, tu dois t'accrocher à elle",
comme un écho aux paroles du vieux... Finalement les chemins des deux hommes se sépareront car Dog s'est décidé à lutter contre l'engrenage fatal, à choisir l'avenir avec ses difficultés plutôt que l'argent facile avec la rechute à la clé. Ne lui reste, comme il l'a fait par le passé contre le chien diabolique, qu'à se battre cette fois contre ses propres démons pour devenir lui-même. Faire un pied de nez à la fatalité et à l'hérédité, transformer les acquis transmis par les anciens et Martine pour mériter la confiance qu'ils lui ont toujours accordée. L'amour de "Tatine", la tutelle des anciens, mais aussi la rencontre avec les mots par l'intermédiaire de l'acteur Fortin, le martyre de l'innocente Lulu qui saura réveiller en lui le fond d'humanité qui sommeille, les pouvoirs de la nature berceau de son enfance, finiront par permettre à Dog d'échapper au destin contraire auquel il semblait promis.
Olivier Brunhes s'enracine dans l'humain. Ce sont les personnages, l'extrême fragilité de leur existence et l'intensité du moment où celle-ci peut basculer, leur inscription dans ces marges, rurales ou banlieusardes, abandonnés par tous à leur solitude, à leurs addictions, à leurs désirs, à leurs peurs, où ils gravitent, qui sont sa sève. Ce roman s'affirme en dehors de toute linéarité. L'auteur y juxtapose
plusieurs périodes de 1986 à 2008 (enfance, adolescence, prison,
errance), plusieurs formes de narration (récits de rêves, rap,
monologues intérieurs, descriptions réalistes, discours philosophiques,
contes
), y croise différents niveaux de langage (populaire, littéraire,
poétique...), y intercale brutalité, rage et sensibilité,
tendresse ou lyrisme. Dominique Baillon-Lalande (30/07/12) |
Sommaire Lectures Éditions Actes Sud (Janvier 2012) 240 pages - 19 €
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