Corinne BUTIGIEG, A l'aube des jardins d'Allah



De l'orient rêvé à l'orient réel, voilà le voyage initiatique auquel nous invite Corinne Butigieg sur les traces d'un jeune officier breton en 1919-1920. En 1907, alors qu'il avait dix ans, René-Yvon-Marie de Kerduner est confronté à la mort (des suites du paludisme) de son père, grand officier des campagnes coloniales de Lyautey et Gallieni.
Les quatre cierges épais autour du lit diffusaient dans la pièce à peine assez de lumière pour que René pût voir son père revêtu de son grand uniforme de colonel, rutilant de décorations, l'épée au côté, le képi posé à ses pieds et les mains croisées d'où dégoulinait un chapelet de grenats.
Et l'enfant entend sa mère lui dire gravement : 
« - Maintenant, René, tâche en cette vie de faire toujours honneur à ton papa.  »
La route est tracée. René travaille dur, décroche son bac et une entrée à Louis-Le-Grand à Paris en Math Sup pour intégrer Polytechnique ou Saint-Cyr. Mais la guerre éclate et René s'engage en 1917…
Après les deniers combats dans la Meuse en 1918, le sous-lieutenant René-Yvon-Marie de Kerduner participe à l'occupation de la Rhénanie et au démontage des usines pour démanteler l'industrie allemande. Ce ne sont pas les missions dont rêve le fils du colonel…
Heureusement, en septembre 1919, il embarque sur l' Orénoque avec une vingtaine d'officiers envoyés en renfort pour l'armée française du Levant. Il va enfin pouvoir mettre sa fougue et sa passion au service d'une noble cause, la construction d'un Orient pacifié par les vertus républicaines.
Mais, dès son arrivée à Beyrouth, il comprend que dans un Liban en proie au chaos politique et aux luttes incessantes des clans et des religions, les opérations de pacification auxquelles il va participer n'ont rien à voir avec la conquête glorieuse qu'il espérait.
La France, devenue récemment une république laïque, est obligée de continuer la mission de la "Fille Aînée de l'Eglise" comme à l'époque de François 1er et Soliman le Magnifique. Et cette fois, avec des troupes essentiellement composées de soldats originaires d'Afrique du Nord et d'Afrique Occidentale Française colonisées. « Dans quel guêpier, je me suis fourré ! » pensa Kerduner.
De l'orient, le sous-lieutenant va connaître le meilleur et le pire.
Le meilleur, ce sont les paysages à couper le souffle, les parfums, la beauté des femmes, l'amitié, la sagesse de certains hommes… Corinne Butigieg dresse un portrait tout en atmosphères, en sensations, en émotions, du Liban des années 20.
Le pire, ce sont les opérations de police, les trahisons, les attentats, les représailles, l'horreur, la mort…
« Décidément, en Orient, quand un problème est réglé, magiquement il en surgit un nouveau, comme si cette contrée ne pouvait se passer d'exister sans déchirures, sans conflits… »
Quatre-vingts ans plus tard, cette phrase reste d'une brûlante actualité.
Professeur de philosophie et journaliste à Ouest-France, passionnée depuis toujours par le Moyen-Orient, Corinne Butigieg signe ici son premier roman.
Un roman de trois cents pages qui se laisse dévorer car aucune digression ne nous éloigne du jeune officier. Au fil de chaque page, chaque paragraphe, nous sommes avec lui, près de lui, et nous partageons ses rêves, ses enthousiasmes, ses déceptions et ses souffrances. Un livre profondément humain et historiquement passionnant.

Serge Cabrol 



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Editions du Rouergue
320 pages
16 €