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Hélène CADOU

Blanc, c'est un pays


Avant de plonger au cœur du livre, il semble bon de présenter l’auteur et l’illustratrice de cette œuvre à double visage, tant le travail semble imbriqué, tissé avec les fils de la rigueur et de l’étonnement, écho à la fois doux et majeur, exponentiel et apaisé.

Hélène Cadou est née dans la presqu’île guérandaise. Bien sûr que son nom ne nous est pas inconnu (elle fut l’épouse de René Guy Cadou) bien qu’il voile un parcours particulier, riche de plus d’une vingtaine d’ouvrages et chez des éditeurs prestigieux : Seghers et Rougerie. Elle côtoiera Manoll, Bérimont, Béalu, Rousselot, Bouhier… ce que l’on nommera l’école de Rochefort ainsi que Georges Bataille.

Nathalie Fréour, sa presque voisine (elle habite Nantes), a réalisé de nombreuses expositions en France et à l’étranger. Elle nous présente là des œuvres originales réalisées à partir des poèmes d’Hélène Cadou. 18 pastels à la cire accompagnent 18 poèmes.

Déjà, leur enracinement breton est à comprendre comme une ouverture au monde, lieu où s’est forgé le sensible mais aussi point de départ beaucoup plus ample dépassant la simple foi perceptive. Toutes les deux, à leur manière, interrogent ce que voir veut dire. Chez elles, l’habitude de voir correspond à une habitude étonnée. Le réel devient encore le réel car il s’approprie ses propres lois de dépassement pour affirmer ce qu’il est.

« … Saisir cette minute
Où tout sera possible

L’étincelle
Qui inaugure
Une chance
A réveiller le temps

Jusqu’au regard premier
Des origines.
 »

Le paysage contient le possible. Il s’affirme à la fois comme présent et avènement. Pourtant, ce paysage qui ne peut se vivre que dans la durée ne se livre que par éclairs. Seul l’instant a le pouvoir de valider l’entièreté du monde. L’éternité a besoin de l’éphémère pour se constituer. On pourrait même se risquer à dire que celui-ci est l’architecture nécessaire de l’éternité. Ainsi, ces vers qui ajoutent une géographie dans la géographie, une écriture dans l’écriture, nous évoquent tout un pan de la poésie chinoise :

« Instant sauvé

Voir une seule fois
Le bleu dans le bleu

L’aile et non l’image
Dans un regard mis à nu.
 »

Il s’agit bien d’un dénuement que nous propose l’auteur, presqu’un renversement, car il convient de savoir qui de nous ou du paysage regarde ? Qui est vu ? Le décor est la sensation pleine de l’être avec le ciel, la mer, le flux et le reflux des choses saisies ; le paysage extérieur devenant un miroir.
Ce jeu de reflets, d’entremêlements, où l’on peut confondre la plaine de l’océan avec celle du ciel, le blanc inaugural du sel et de l’aile de l’oiseau, toutes ces couleurs des marées salants qui inventent d’autres couleurs, traduit cette métamorphose qui va du même au même.
La force de ce recueil est qu’il existe un véritable regard qui englobe et se méfie de cette illusion diamantaire. Le titre Blanc, c’est un pays nous le rappelle fortement.
Dès lors, nous trouvons-nous devant le "tout" et le "rien", deux forces susceptibles de réengager et de mesurer l’intensité réelle qui nous relie au monde :

« Rire
Devant le tout
Le rien

Le ciel
En majesté

La grâce
Toujours neuve.
 »

Ce livre lucide, empreint d’une gravité légère, authentifie le poids que doivent avoir les mots. Comme dire autrement si ce n’est qu’ils sont "justes" à la manière où l’entendait Eluard ? La vérité qu’ils dégagent n’a pas besoin de preuves.
Encore une fois, il s’agit de voir, de questionner au plus profond ce que ce verbe implique. Il n’oublie pas le temps humain, capable lui aussi de césures. Imaginons une lenteur pressée, délicate, surlignant l’essentiel, et dont la douleur enfouie au lieu de voiler le paysage, le restitue prodigieusement en quelques traits. Magnifique calligraphie que ces quelques vers :

« D’autres fois je cherche
Ce qui va plus vite

Une déchirure
Dans la plaine sombre…
 »

Cela suffit amplement, me semble-t-il pour évoquer la beauté de ce livre.
D’autres voix surgissent aussi et renouent avec ce merveilleux entêtement guillevicien :

« Le temps
Bat sa coulpe
Eternellement

La nuit le jour
Le monde jamais
Ne sera absout.
 »

Hélène Cadou nous offre une ode à la lenteur qui nous fait gagner le temps.

Christian Viguié 
(12/12/10)    



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Poésie









éditions Siloë

15 €


Avec 18 pastels
de
Nathalie Fréour











Hélène Cadou,
née en 1922, épouse de René Guy Cadou (1920-1951), est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages.




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