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Fabrice CARAVACA

Un corps contre la terre


Deux mille dix est une belle année pour Fabrice Caravaca. Son dernier recueil La vie édité chez Les fondeurs de briques a connu un succès bien mérité. Il s’est constitué assez rapidement de bouche à oreille. La vie était un appel à la fraternité, au miracle commun de vivre ensemble. D’emblée, il se situe comme un poète du présent et son œuvre ignore volontairement la nostalgie du passé ou le futur hypothétique et imaginaire. Le recueil Un corps contre la terre réengage cette ampleur du présent au profit, cette fois-ci, d’un amour charnel orienté vers les éléments primordiaux que sont l’eau, l’air, le feu, la terre.
Il semble que le recueil s’ouvre sur une scène primitive et que des doigts aient tracé sur des parois ou dans l’éther des signes magiques signalant que le monde fut monde à partir de l’amour de l’homme :
« … du sang d’avant les catastrophes. Nous
avons bu et nous nous nous sommes recouverts du
rouge. Peintures sur le visage. Avec les doigts,
emprunter le liquide et tracer les dessins de la
communion…
Bouches contre bouches. Sexes
dressés. Recréant l’orage. Lumières bariolées
éclairant les sourires et le blanc des yeux.
L’âme lumineuse, le cœur ouvert à tous les
êtres, à toutes les âmes lumineuses. Semence
répandue sur le sol se mêlant à la boue, à la
pluie qui ruisselle, aux corps transis…
 »

Paradoxalement, cette scène première ne se déduit pas d’un temps chronologique, elle s’institue comme commencement et permanence du présent, une ouverture ou une structure de l’immédiateté qui conditionne notre manière poétique d’être au monde. Chez Fabrice Caravaca, le corps ne doit pas attendre car les lois de l’atermoiement sont les lois du malheur.
La Terre devient ce corps ample qui vérifie le mien, l’amplifie, le transforme, le retraduit selon un nombre infini d’étoiles et l’on peut parler du sang de la boue ou de l’or du corps, d’une transmutation lumineuse qui mesure l’unité de l’être. Nous sommes l’écho du monde que l’on reconnaît et qu’on ne cesse de créer. De nombreux passages attestent de cette dimension :
« …Ressentir vraiment l’infini du
monde, du tout-monde, dans le corps en mouvement
qui agit en permanence. Et qui souffle…
corps brûlant qui mange le monde sans cesse, qui
le dévore aussi par la pensée.
 »

Lorsqu’on se plonge dans le recueil, les mots entrent autant dans la bouche que dans la tête, à cause du rythme qui vous emporte, d’une scansion tenue qui soutient une émotion livrée par éclairs ou par paliers. Le souffle est à la fois haché et puissant. Il répond à une oralité multiple, celle de l’injonction et du murmure, celle d’une prière envoûtante qui irait jusqu’à la transe.
L’auteur ne renie pas la dimension religieuse de son œuvre bien qu’elle ne fasse référence à aucune église. C’est une religion monothéiste hantée par d’anciens dieux, où le sacré peut être ouvert par une autre forme de sacré.
Là n’est pas la question. Cependant une œuvre exprime notre manière de se jeter dans le monde, de constituer l’élément d’une vérité que l’on veut active. Elle essaie d’établir une correspondance profonde avec notre condition de femme et d’homme.
Il existe quelque chose de troublant dans les poèmes de Fabrice Caravaca. Ils mêlent de même manière la force à la naïveté. Cette dernière est revendiquée et s’impose comme une posture valable non seulement dans les mots mais au cœur de la vie réelle. On pourrait dire que cette naïveté est habitée et habituée à s’affronter au quotidien. Il s’agit d’une naïveté armée, volontaire, exercée, tout le contraire des caractéristiques que s’approprie l’ingénu qui n’aurait rien compris à la violence du monde.
S’il y avait une limite éclairante, elle se situerait là, nous montrant où nous sommes. En quoi notre rationalité impuissante se montrerait supérieure à cette spontanéité chaleureuse ?
Peut-être se souvient-on des propos troublants d’Alain Borne lorsqu’il avoue ne plus savoir si le choc qu’il éprouva au contact de la poésie était dû à la sauvagerie rimbaldienne ou à la simplicité désarmante d’un Francis Jammes ? Il semble étonnant que l’on puisse confondre deux univers si dissemblables ou alors nous ne savons plus parier sur une émotion brute qui n’a pas encore décidé du chemin de la Beauté ?
Avec Fabrice Caravaca, nous sommes en amont d’une intelligence qui va obligatoirement catégoriser les choses. Nous recommençons le monde. Il n’y a pas à étudier la Beauté, il y a à la vivre et la filiation avec les Burroughs, Kerouac et Walt Whitman paraît alors évidente.
Cette poésie s’écrit et s’entend à fleur de peau. Quelquefois, il faut s’en méfier quand elle ressemble à de l’eau qui dort :
« On sait que l’on ne s’endort pas aussi simple-
ment. Peut-être même que l’on ne dort pas. Il y a
d’autres choses qui peuvent se ressembler. Par
hasard éclabousser ou bien jaillir.
 »

Christian Viguié 
(20/10/10)    



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Poésie









Les vanneaux

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Fabrice Caravaca,
né en 1977 en Dordogne, vit actuellement à Limoges où il anime les éditions Dernier Télégramme.