Avoir un frère est un bonheur. Le perdre est un gouffre.
Adrien rencontre un jeune homme ivre dans un bar, Erik. Il prend un taxi avec lui et le ramène chez lui car il a réussi à retenir son adresse. Le lendemain, au réveil les deux hommes se confrontent.

L’un, Adrien vit avec son passé et sa souffrance qui expliquent tout son comportement actuel : « Et je ne crois pas que tu m’aies fait penser à mon frère tant que ça lorsque je t’ai vu accoudé au comptoir du Jack Bar. Non, même pas. Vous ne vous ressemblez pas tellement. Vous avez le même âge, d’accord, mais après tout vous êtes des milliers comme ça. Non, je suis allé vers toi parce que voilà : la place est encore à prendre. Ça, j’aurais aimé que tu t’en souviennes, Erik : un jour, mon grand frère est parti et il n’est plus jamais revenu. Et aussi longtemps que mes pas me conduiront au Jack Bar, je sais que je ne l’y croiserai pas. Il avait promis de m’y emmener mais il est parti. Très loin du Jack Bar et de Paris. C’est ce que j’appelle une place à prendre. »

L’autre affronte l’oubli de ce qui s’est passé la veille, l’angoisse du vide, de ne plus se souvenir de ce qu’il a fait, de ce qu’il a dit. Il est écrivain et il ne se souvient plus qu’il a déjà demandé à Adrien s’il avait lu ses livres. Au milieu de l’ivresse et de ses confidences, ils ont échangé sur ce qu’est écrire, sur ce qu’est le rapport aux lecteurs : « La dernière fois que je suis tombé amoureux, je me suis entendu dire : "Je ne te parlerai jamais de tes livres" Et j’ai trouvé ça plutôt futé et très prometteur. Evidemment ça a fini par faire un trou entre nous... Quand tu passes toutes tes journées à te battre avec un texte et que le visage que tu aimes reste désespérément muet, tu te dis qu’on pourrait tout aussi bien se scotcher la bouche et ne plus rien se dire, ni même s’embrasser, et c’est ce qui a fini par arriver... Pourquoi je te raconte tout ça ? J’ai haussé les épaules : Parce que c’est intéressant, pas commun... Une histoire d’amour avec un écrivain, c’est comme une histoire avec quelqu’un qui a déjà un enfant, il faut faire avec... Tu as eu l’air d’apprécier ma comparaison. »

Un très beau texte sur l’amour entre deux frères, entre deux hommes. L’alcool est aussi un personnage. L’alcool qui est une fuite parfois définitive, qui peut-être source de plaisir mais de tant de souffrances quand l’irrémédiable arrive. Ce livre est chargé de la complexité des sentiments, des questionnements, des quêtes interminables. L’écriture très authentique d’Arnaud Cathrine et les peintures de Catherine Lopès-Curval révèlent ces deux hommes dans leur rencontre exceptionnelle et dans leur nudité face à l’essence même de la vie.

Brigitte Aubonnet 
(04/06/09)