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Bernard COLLET

Indalecio


Dès la première phrase, Indalecio nous ouvre sur ce dont, selon le ressac des souvenirs, on ne cessera de s’approcher, un lointain qui est intériorité.
Bien sûr, j’aurais aimé arriver par la mer, les lumières de la ville posées entre deux néants noirs, une île qui danserait devant mes yeux, un halo un peu jaune concentré dans le centre de la nuit, les marins disent qu’on le voit de très loin, même en haute mer.
Il n’y a de lumière qu’enchâssée dans la nuit, ville épiphanie. Nécessité d’un regard distancié pour atteindre le point aveugle que le roman prend pour point de mire. Redoublement du centre en une concentration obsédante. Tout est question de vision, d’approche du littoral, emblème du contact avec la vie, qui depuis la marge vise le cœur, mystère et gouffre à la fois, source noire.
Partant de là, ou y arrivant, Bernard Collet nous raconte l’histoire d’Indalecio. Mais la vérité est une pâte feuilletée et la mémoire, comme dit Baudelaire, un palimpseste. Se croisent, se mêlent et se recouvrent divers plans, présent et passé, amour et rejet, innocence et culpabilité, attente et désespoir, mais aussi des vies où résonnent les échos d’autres vies, échos sourds qui font vibrer le plus enfoui, à décrypter.
Le narrateur découvre un secret de famille, l’existence d’Indalecio, frère d’Antonia sa grand-mère, frère caché, effacé et cependant toujours là, frère aimé qui lui écrit et lui demande des papiers, ceux de son mari, pour sortir de la clandestinité des forçats évadés, lui dont le “nom n’existe plus”, remplacé par le “matricule 45582” tatoué sur le cœur.
Ils ont le même nom, le même prénom, ils sont nés le même jour de la même année, c’est ce qui est inscrit sur leurs papiers d’identité. Ils s’appellent Joaquim Aguilas. Ils sont deux. Ils ne se sont jamais vus, ils ont vécu à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, de chaque côté du monde. Toi, Antonia, tu les as aimés.
Et nous voilà embarqués, ballottés d’Oran à Paris, de Casablanca au Venezuela en passant par la Guyane, les camps forestiers de Saint-Laurent. Fouaillé par les souvenirs auxquels la fiction donne chair, le roman se fait enquête, fidèle au grec historie. Nous suivons la vie d’Indalecio, fasciné par la Révolution russe, qui part d’Oran, rejoint les milieux anarchistes parisiens d’avant 14-18, la bande à Bonnot, Victor Serge et d’autres, est envoyé au bagne pour un crime commis lors de “l’affaire de Bezons” à laquelle il n’a pas participé, s’en évade pour rejoindre le Venezuela.
En effet, mieux vaut arriver par la mer, sachant qu’on ne voit bien qu’en un regard décalé, celui du roman. Et ce roman nous tient, du début à la fin.
Il y a, dans l’écriture de Bernard Collet, une subtile attention aux atmosphères, nuageuses ou limpides, au souffle qui fait se mouvoir les êtres au cœur de situations où villes, maisons, rues, arbres, océans, ciels sont autant de prolongements de soi, imprégnés de la vie qui y palpite, de sa beauté tout autant que de sa laideur, miroirs où l’existence diffuse et se teinte de couleurs improbables.
Depuis L’Odeur des grands arbres, en pleine Indochine de Duras, dans les récits marocains, Paradis beach, Regarde la mer et Le Vent du détroit, ou dans le méditerranéen Étrangers au paradis, Bernard Collet déploie une langue flottante et fluide, qu’on dirait “blanche” par certains aspects, plutôt marine, traversée de courants d’images. Écriture tissée au ras des émotions et qui soudain s’enfonce et fouille l’intime, joies, souffrances profondes, étonnement d’être, lumières inaperçues. Une écriture horizontale et, soudain, verticale.
"Indalecio. Je le vois ainsi, à cet instant précis où je le nomme pour la dernière fois de ce nom : le cargo est à quai, il va descendre à terre, entrer dans ces rues pavées bordées de maisons à balcons de bois, il a quitté les siens, la terre où il est né, il s'est défait de son nom, il ne sait rien de ce qui se présente devant lui".

Jean-Jacques Marimbert 
(26/03/09)    

Pour consulter la fiche auteur de Jean-Jacques Marimbert : http://www.crl.midipyrenees.fr



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La Fosse aux ours
281 pages - 19 €










Bernard Collet,
né à Casablanca en 1950, a publié de nombreux livres, textes littéraires
et livres-films.

Pour visiter son site :
www.bernard-collet.com


Bernard Collet a réalisé un livre-film, Indalecio, présenté aux Rencontres du Livre-film en juin 2008
(site : www.lecinema
delalitterature.com
)