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Philippe CROGNIER


On a marché sur la terre



Une très belle présentation pour cette petite collection Récits et nouvelles de la nuit où est publié ce huitième livre de Philippe Crognier. Un recueil de seize nouvelles.

La première, Emmenez-moi, tient merveilleusement sa promesse. En cinq pages, le personnage décalé, cet Azznavour (avec deux z) qui se produit dans les fêtes foraines, pour les mariages et l'été dans les modestes salles des villes de seconde zone de la campagne ou sur les podiums des plages du Nord et de Picardie, est saisissant de vérité. Assumer depuis six ans une carrière médiocre due à sa ressemblance avec le grand Charles Aznavour dont il chante le répertoire n'est pas un destin très réjouissant. Le presque sosie n'est pas dupe, « il ne fait illusion qu'une poignée de secondes ». « Son vrai nom, c’est Jules Merlin. Merlin, comme l’enchanteur. » Les titres des chansons se tricotent alors pour dire subtilement le doute, la lassitude, la solitude depuis le départ de sa femme. Un soir, « après une longue marche, il s'assied sur un banc. Ma vie, mes amours, mes emmerdes, la bohème, la mamma et tout le tralala, ça ressemble à quoi ? (...) Pendant un long moment, la tête dans les étoiles et la bouteille à la main, il est comme suspendu au fil de ses pensées. (...) Au petit matin, en reprenant la route, il se dit qu'en marchant bien, il ne lui faudrait guère plus d'une journée pour rejoindre sa femme à Boulogne-sur-Mer. » L'aube d'un nouveau départ, loin des feux de la rampe devenus trop pâles... Une histoire originale, drôle et pleine de sensibilité.

Fête municipale parle avec pudeur et malice d'un vieux dont on ne parierait pas qu'il est complètement extérieur aux dysfonctionnements qui transforment la traditionnelle fête foraine en pure catastrophe, quand Fleur bleue est un dialogue tendre entre un grand-père et son petit-fils sur les bals et la jeunesse.

Au détours des nouvelles, des morts aussi : Dans Le double crime de Montlevon qui évoque la dernière exécution capitale à Amiens en 1969 mise en parallèle avec la chute politique du général de Gaulle victime d'un refus au référendum comme celui qu'il avait lui-même prononcé peu de temps auparavant à la demande en grâce du condamné. Dans Surprise, surprise aussi, cette histoire de dope sur fond rural.

L'amour ou le non-amour ne sont pas oubliés avec Jour de noce qui met en scène le suicide de la mariée du jour quand Ou jamais a la fraicheur des histoires d'amour éternelles.

C'est le langage même qui est au cœur de La folie des voyageurs et Fatal error dont le thème est l'écriture ou Les grandes familles qui relate une querelle de mots bien affectueuse au final.

Un « beau fourre-tout » pour reprendre l'expression employée par Roger Wallet dans la postface avec « priorité aux personnages sur l'intrigue, choix d'un univers désuet avec cette maladresse à vivre qui rend les gens touchants ».

De coutes histoires ancrées dans le territoire picard avec réalisme et affection, racontées avec une simplicité lumineuse, une sincérité émouvante.

Dominique Baillon-Lalande 
(23/11/10)    



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Editions du Petit Véhicule

138 pages - 15 €