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Thierry DANCOURT

Jardin d'hiver


Pascal Labarthe, le narrateur, arrive un soir de brume hivernale à Royan. Dans la station balnéaire désertée, tout est fermé. Il échoue dans un vieil hôtel que le patron, à l'aube de sa retraite, s'apprête à fermer définitivement. A l'Océanic envahi par les cartons, il est le seul client avec Serge Castel, représentant en électroménager, homme décalé et exigeant qui semble avoir là ses habitudes.

Les raisons du séjour de Pascal paraissent énigmatiques. Il aurait ici un rendez-vous mais ne semble attendre personne... Il est en fait à la recherche d'une maison d'architecte sur pilotis qui date de l'important programme de reconstruction du Royan d'après-guerre, une maison dont il ne possède qu'une vieille photographie laissée, juste avant son départ, par une jeune femme anglaise de passage à Paris avec laquelle il a vécu une belle histoire d'amour. Il y a des années déjà. Au dos du cliché, on peut lire un message d'adieu et ces quelques mots « je vous donne rendez-vous ». Ni date, ni adresse. Cette image d'elle, enfant, avec ses parents devant la maison du bord de mer, pour seul indice. C'est donc sur les trace d'un fantôme, à la recherche d'un amour perdu mais jamais oublié, qu'avec nostalgie et sans trop y croire, se lance le documentariste.

L'ambiance de l'Océanic à la veille de sa fermeture est étrange, tout y paraît décalé : le représentant se comporte en maître des lieux et entretient de singulières relations d'autorité avec le patron; celui-ci, attaché à ses murs par d'invisibles fils, fait ses préparatifs de départ avec peine, le regard tourné vers le passé. Adopté par l'établissement agonisant et les deux occupants qui le veillent, Pascal semble avoir trouvé là l'espace idéal, en dehors du temps et de l'agitation de la vie, pour mener sa quête en toute sérénité. Quand le patron doit s'absenter pour effectuer les démarches nécessaires pour ses projets, il propose naturellement à Pascal et Serge de rester. L'occasion de rencontres savoureuses avec les rares clients potentiels que l'enseigne lumineuse toujours en activité attirerait. « Client, employé...vous savez Madame, ici, la différence est ténue. En fait, je suis... j'étais client et puis soudain le patron est parti, il n'y a plus de patron, il n'y a plus personne... nous ne sommes plus que deux dans cet hôtel... Nous en sommes un peu devenus les gardiens... »

La ville aussi, en cette morte saison, semble vivre repliée sur elle-même, au ralenti : boutiques et volets des façades sont clos. Aucun bruit ne filtre des grandes villas assoupies. Même la bibliothèque, où une employée revêche l'accueille tous les matins, donne des signes inquiétants de déliquescence : un espace presque nu, aux rares meubles dépareillés, aux étagères vides, où les livres disparaîtraient mystérieusement. Autrefois, « dans les années vingt et trente, la perle de l'océan, ainsi qu'on la surnomme alors, est un lieux de villégiature apprécié. Elégante, résidentielle, raffinée, elle attire une clientèle aisée, le Tout-Paris intellectuel et artistique s'y donne rendez-vous. Danielle Darrieux est une habituée de la station (...) Charles Trenet se produit au casino municipal. Jacques-Henri Lartigue photographie Maurice Chevalier sur la plage, faisant le poirier. Pablo Picasso, Yvonne Printemps. Tino Rossi. Sessue Hayakawa, acteur japonnais. » La fin d'un monde.

Grâce à Serge qui sillonne la région, aux recherches effectuées dans la presse avec l'aide de Monsieur Smeyers, seul lecteur assidu de la bibliothèque qui vient chaque jour lire le journal local d'il y a quarante, cinquante ans, histoire de se replonger dans sa jeunesse et considère que « les événements se ressemblent, par delà les années. Collision entre deux voitures boulevard Aristide Briand, remplacement d'Untel par Untel au conseil municipal, ouverture d'un magasin place de la Renaissance, embellissement des salons de la mairie, baisse du commerce extérieur... c'est toujours un peu les même choses, les nouvelles. (...) Tout se répète beaucoup, alors aujourd'hui, hier... qu'est-ce que cela peut faire, quelle différence, quelle importance ? »

Pascal avance à petits pas vers "sa" villa réglant agréablement son temps entre l'hôtel, les soirées avec le représentant, le sandwich partagé avec Smeyers, au square, à la fermeture pour l'heure du repas de la bibliothèque...

Un jour, elle est là devant lui, telle que sur la photo, habitée par Abigail, une jeune étudiante qui loue la villa tout l'hiver pour terminer sa thèse sur la logique. Le début d'une autre histoire...

Jardin d’hiver est un roman d'atmosphère qui conjugue habilement histoires individuelles et histoire, croise le présent habité par sa fresque de personnages singuliers avec un passé hanté par des figures de jeunes femmes, par la guerre, aussi. L'intrigue ténue entraîne le lecteur des berges de la Seine au rivage de l’Atlantique et tisse des liens entre des tranches de vie, comme saisies au vol, sur une durée de plus de cinquante ans. Et c'est comme si cette élasticité du temps, cette superposition des lieux, évoqués en cette période de brume hivernale qui rend les contours imprécis, dans cette station balnéaire désertée dont la splendeur est à évoquer au passé, tout transportait le lecteur hors du monde et du temps. Les personnages sont à l'unisson, atypiques, décalés, fragiles, nostalgiques, touchants, hors course. Les scènes animées par le médecin – chez lequel le narrateur a fait la rencontre de l'amour de sa vie –, Smeyers, Serge ou la bibliothécaire, sont frappées du sceau du non-sens à la Lewis Caroll. Tout cela nimbe le roman d'une étrangeté, accentuée par le goût de l'auteur pour l'ellipse et le caractère énigmatique de certains passages. Il faut attendre la fin du récit pour que les différentes pièces du puzzle s'emboîtent et fassent sens. Dans ce roman pointilliste où les vides ont autant d'importance que ce qui est dit, c'est la tonalité, l'ambiance, qui donnent son unité à cette réalité éclatée, lui confèrent une épaisseur.

L'écriture est simple, agrémentée de nombreux dialogues, le récit intimiste est nourri d'une certaine sensualité (odeur du cuir des sièges de la voiture anglaise, goût du pain d'épices...) et empreint de mélancolie.

Un roman subtil à la fois touchant et drôle.

Dominique Baillon-Lalande 
(02/09/10)    



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Editions de La Table Ronde

176 pages - 17 €













Thierry Dancourt,
né à Montmorency,
travaille comme rédacteur indépendant dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme. Il a obtenu le Prix du Premier Roman 2008 pour
Hôtel de Lausanne
(La Table Ronde et 10/18).