Charles DANTZIG,

Dictionnaire égoïste de la littérature française



Les écrivains sont souvent les meilleurs des critiques, car ils pénètrent par sympathie au cœur même de l'acte créateur. Ainsi un paragraphe de En lisant, en écrivant, de Julien Gracq, est-il plus éclairant qu'une longue étude universitaire. On pourrait dire la même chose des articles qui composent le Dictionnaire égoïste de Charles Dantzig. Egoïste, ce gros ouvrage l'est par la subjectivité, voire la partialité qu'il revendique ; à travers les auteurs et les notions qu'il examine, ce sont aussi les goûts, voire les passions de l'auteur qu'il nous convie à explorer. On devine le plaisir qu'il a trouvé à prendre souvent le contre-pied des valeurs reconnues : si Proust et Balzac sont l'objet d'une admiration attentive, Colette est qualifiée de « dégueulasse » et Mauriac accusé d'être un romancier « paresseux ». Semblables partis pris peuvent être à l'origine de réévaluations salubres : Charles Dantzig a ainsi le grand mérite de réhabiliter Leconte de Lisle à une époque où le Parnasse est volontiers tourné en ridicule, ou de rendre sa place à Paul-Jean Toulet, que les manuels de littérature traitent comme un auteur mineur, alors que certains poèmes des Contrerimes comptent parmi les plus beaux de la langue françaises. De même, il n'est sans doute pas mauvais de démythifier les romans d'André Malraux.

En revanche, la remise en cause des admirations reçues peut conduire à des paradoxes plus provocants que justifiés : qui se fierait aux articles que le Dictionnaire égoïste consacre respectivement à Françoise Sagan et à Marguerite Yourcenar pourrait en déduire que la première est plus grand écrivain que la seconde. Quant à Cioran, il est expédié en deux lignes, pour le plaisir du bon mot. On peut ne pas apprécier l'auteur du Précis de décomposition, mais réduire son œuvre à « des syllogismes sur des solécismes », alors que sa langue est des plus pures. laisse tout de même rêveur.

On devine aux lignes qui précèdent que le lecteur du Dictionnaire égoïste de la littérature française est constamment tenté de discuter les affirmations de Charles Dantzig et d'opposer ses préférences aux siennes. C'est en cela que résident le charme et la valeur de ce livre exceptionnel. A le lire, on a le sentiment de se mesurer à un esprit brillant, cultivé comme on l'est peu, au fil d'une conversation tranchante et allègre comme l'écriture elle-même. L'amateur de littérature y trouve un interlocuteur aussi passionné que lui-même, à la fois irritant et stimulant. C'est dire le plaisir et l'enrichissement qu'il peut en retirer.

Sylvie Huguet 



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Editions Grasset
968 pages
28,50 €