Marc DELOUZE


C'est le monde qui parle



Pour ceux qui ne connaîtraient encore pas Marc Delouze, je tiens à vous informer qu’il est un écrivain vraiment intéressant (faisant vibrer la poésie jusque dans ses narrations) et un infatigable metteur en lumière de poètes. En 1982, il crée l'association Les Parvis Poétiques où se sont produits les poètes les plus intéressants et il a été le cofondateur et conseiller littéraire des Voix de la Méditerranée, à Lodève, de 1998 à 2000.

Le titre C’est le monde qui parle renvoie à des vers du poète québécois Louis-René des Forêts : Non, ce n’est ni lui ni moi, c’est le monde qui parle. / C’est sa terrible beauté. Il s’agit bien de cela, dans cet écrit sans histoire, Marc Delouze ne nous raconte pas quelque chose mais vient nous dire ces étonnantes paroles du monde qui parle.

Avec C’est le monde qui parle, il vient nous donner à lire un récit « autobiographique » où la poésie est omniprésente dans les images et dans le regard de l’écrivain qui vient nous faire regarder là où, souvent, nous passons sans voir. Le côté « autobiographique » est simplement anecdotique, nous donnant à comprendre que Marc Delouze a consigné des notes sur du papier entre 1986 et 2006. Autrement dit, c’est le regard porté qui est autobiographique, pas ce qu’il nous en dit. Ce qu’il nous en dit est d’une humanité disant le sel et le miel des rencontres, portant les silences diserts des hommes et des femmes aperçus, rendant la poésie à l’essence des lieux, etc.
Ce récit nous entraîne dans le monde, nous allons à Tokyo, à Baalbek, à Genève, à Abou Ghosh, à Lisbonne, à Nouakchott, Ramallah, etc. Très vite, nous comprenons qu’il est illusoire de suivre le trajet sur une carte. Il reste un seul chemin possible : suivre l’auteur dans ses pérégrinations qui sont les mille et une aventures d’une parole itinérante. Lisons ensemble un extrait :

          d’abord il y a un matin, le ciel ouvrant ses volets repeints à neuf sur la transparence de l’air, puis le milieu du jour, à mi-chemin de mon voyage
          d’ATHÈNES à KYTHIRA
          dans la fraîcheur des ombres sous les arbres un couple adossé à la blancheur des murs se tient la main par habitude en regardant la mer au loin, puis il y a plus tard, pas tout à fait le soir, quand le soleil vient se poser
          se reposer
          sur la margelle de l’horizon, les leviers de ses derniers rayons descellant les lourdes certitudes, un peu plus tard encore, à la tombée du jour, sur le bateau qui me transporte dans l’île, je n’oscille plus, je titube, ivre d’ouzo, de thym, de mer et
          
(se plait-il à croire)
          de bonheur
          il y a le soir enfin, ce moment étrange où soudain je me souviens du matin
          à mon réveil au pied du Parthénon il faisait frais sur la terrasse encombrée de parpaings, de cuvettes en plastique, de paniers d’osier pourrissant, de cageots de bouteilles de bière vides, murmurant
          
la lune est ronde et brille comme un parfait raisonnement
          ce soir je ne sais plus
          Delphes Thessalonique Épidaure Cythère
          le sens est un vent fou qui emporte ma langue, ce qui me semblait noir devient blanc, ce qui me semblait blanc devient noir, tous mes repères se perdent dans une grisaille hors de saison, je ne sais même plus ce que j’aime
          ni qui
          
où es-tu toi que je connais ?
          qui es-tu ?
          tout est voyage dans ma tête, j’entends les machines tourner à plein régime dans les soutes, tout est secousse, tout est spasme, un souffle de rasoir file d’entre mes lèvres


Ou encore cet autre extrait qui se passe à Marrakech :

          quand le matin levant sa main exhibe dans sa paume le triangle noir de la sérénité, je me lance à l’assaut des cartes postales achetées la veille, recopiant inlassablement la même phrase surgie au réveil
          
ne rien faire occupe tout mon temps
          tandis que sur la place devant la maison des vélos des mobylettes des scooters pétaradants déchirent les jeux des gamins, se faufilant avec une insolente habileté entre les femmes qui déambulent à l’ombre du minaret de la mosquée ben Youssef qui semble découpé au laser sur le ciel
          moi
          allongé sur les tapis déjà brûlants de soleil, je regarde la ville ocre tourner autour de moi


Qu’on prenne le récit à une page choisie au hasard, le récit commence toujours telle une éternelle quête de l’homme seul au milieu du monde, à l’écoute de toutes et de tous. Si on prend le récit à son début, cela devient encore plus probant. Aucune histoire à suivre, Marc Delouze nous offre bien plus, un récit dense et riche, qui nous transporte à travers tant et tant de destinations différentes dans une inconnue contrée : l’être, si noble de et dans sa relation aux autres.


De ce récit est né un spectacle (lecture concert) : C’est le monde qui résonne. Marc Delouze, avec Louise et Patrick Marty, réalisent une performance en nous offrant une réelle complicité entre le récit et la musique en résonnance.
De Cotonou à Paris, en passant par Bamako, Louise et Patrick Marty œuvrent pour une véritable mixité culturelle, des rencontres fécondes entre artistes, en direction de tous publics, ils créent ainsi, en 2003, la première école de musique à Cotonou. A Paris dans le quartier de grande mixité de la Goutte d’Or, ils ont créé et animent des chorales, des ateliers, des concerts...
Louise est harpiste de formation classique (Conservatoire de Paris) et chanteuse. Elle se produit en Trio flûte, alto et harpe et aborde le répertoire classique de son instrument lors de concerts et de récitals. Patrick est trompettiste, guitariste, percussionniste.
Ensemble ils explorent des répertoires originaux, confrontant musiques traditionnelles, classiques et contemporaines, et réunissent leurs instruments à la recherche de sonorités nouvelles.
J’ai pu voir et entendre cette lecture concert lors d’une soirée au Centre d’Art et de Littérature, à L’Échelle, dans les Ardennes. Ce fut un spectacle enchanteur où les inventions musicales répondaient au monde qui parle.

Gilbert Desmée 
(31/01/09)    



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Poésie












Editions Verdier

120 pages - 13,50 €



























La lecture concert
dure 1h05.

Pour tous renseignements,
contacts pour tournée :

www.3tambours.com

www.parvispoetiques.fr