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Agnès DESARTHE


Une partie de chasse



"J'aimerais mourir de mort naturelle. Je voudrais vieillir. Personne ne vieillit chez nous. Nous partons dans la fleur de l'âge." Tels sont les premiers mots du roman d'Agnès Desarthe, prononcés par un singulier narrateur dont l'identité ne sera révélée qu'à la fin du premier chapitre. Il sera le témoin privilégié de cette partie de chasse qui réunit trois hommes du village et un plus jeune, Tristan, poussé dans cette expédition par Emma, sa femme, qui voudrait le voir intégrer la communauté. Ces deux-là sont arrivés dans cet endroit par le hasard d'une succession et ils vivent un peu à l'écart. Comme deux amoureux. Leur rencontre a des allures de destin et Agnès Desarthe la relate avec humour et tendresse. Emma n'est pas Yseult. Elle sert des Guinness et, en grande timide, elle parle beaucoup trop, assise à califourchon dans un bar mais l'amour suffit-il à un être humain ou lui faut-il frayer avec ses semblables pour trouver le bonheur ? C'est ce que semble penser Emma qui pousse Tristan à fraterniser avec les hommes du village.

Pour être accepté, il doit faire ses preuves, fusil en bandoulière, sauf que l'expédition ne se déroule pas comme prévu. Un accident et le groupe se scinde. Tristan reste seul dans la forêt avec l'un de ses semblables blessé et un lièvre qui vit encore dans sa gibecière.

C'est un long face-à-face qui commence, l'occasion de tisser une amitié solide ou de laisser surgir la sauvagerie instinctive tapie au fond de chaque individu ? C'est la question qui se pose tout au long du livre.

Les éléments se déchaînent, une tempête terrible survient, et, dans la forêt, un étrange dialogue sur la condition humaine se noue entre l'homme et la bête.

Cette partie de chasse n'est pas sans rappeler le film Les chiens de paille de Sam Peckinpah : un couple installé dans une petite bourgade et l'homme soumis au regard hostile des habitants. Le film délivrait une vision noire de la nature humaine, la culture n'étant qu'une fine couche de vernis recouvrant une terrible sauvagerie pour maintenir son territoire.
Dans le roman d'Agnès Desarthe, il est question aussi de terrier, de territoire, de rancœur face aux injustices de la vie, de violence prête à surgir : "Dans le temps, on s'entretuait, on se tuait soi-même pour moins que ça. Dans les livres, les livres qu'il lisait avant, les gants jetés à terre, les rendez-vous à l'aube, amenez vos témoins, les récits de duel, au pistolet, à l'épée" mais son constat est bien moins sombre.

L'homme, contrairement à l'animal, est habité par ses souvenirs, et son passé, parfois lourd à porter, l'encombre, l'empêche d'avancer. La parole est un exutoire insuffisant pour expulser hors de lui cette douleur, cette brutalité contenue qui l'étouffe. Il suffit d'un évènement inattendu, d'un accroc dans l'agencement du temps pour qu'elle surgisse mais la violence poussée à son paroxysme peut aussi engendrer une rémission, une forme de rédemption.

La phrase musicale d'Agnès Desarthe prend parfois les allures de la fable pour mieux sonder les tréfonds de l'âme humaine. Son roman, empli de violence et de tendresse, se lit d'un seul souffle et continue à résonner comme l'écho d'une tempête lointaine et furieuse dont personne ne sort indemne mais qui laisse, dans le vide créé, la possibilité d'une renaissance.

Énora Bayec 
(03/09/12)    



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Editions de l'Olivier

(Août 2012)
156 pages - 16,50 €






Agnès Desarthe,
née à Paris en 1966,
a déjà publié neuf romans aux Éditions de l'Olivier pour lesquels elle a obtenu le prix du Livre Inter, le prix Virgin/Femina et le Renaudot des lycéens. Agrégée d'anglais, elle est également traductrice et a cosigné avec Geneviève Brisac un essai sur Virginia Woolf. Elle est aussi l'auteur d'une trentaine
de livres jeunesse
à L'École des Loisirs.




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de l'auteur :
www.agnesdesarthe.com