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Bernard DUMORTIER

Leçons de ténèbres


Exigeant et inclassable, le petit livre de Bernard Dumortier se présente comme une promenade érudite et littéraire au sein des grottes, une rêverie rigoureuse qui emprunte à l’exactitude scientifique et se coule dans une écriture dont la précision n’exclut pas la poésie. Le prologue nous avertit qu’il ne s’agit ni d’un ouvrage de fiction, ni d’un essai philosophique ou didactique, et que le texte « tient l’homme à l’écart. » «  Nulle part, on ne verra l’homme, l’homme qui s’agite et se regarde s’agiter parmi ses sentiments en bataille et noués de partout. » Un tel projet n’est pas sans faire songer à un Caillois se penchant sur l’écriture des pierres. D’ailleurs, Leçons de ténèbres commence par une évocation du monde minéral, de son « homogénéité rassurante », que rompent cependant « rognons de silex » et géodes, ces «  beaux fruits ouverts dont l’écorce épaisse de roche amorphe a sécrété, jusqu’à quasi emplir le vide, un foisonnement de cristaux de quartz ou d’améthyste qui bourgeonnent, qui se chevauchent et luisent comme le chef-d’œuvre d’un confiseur. » L’auteur montre ensuite comment « faire du vide avec du plein », comment le travail souterrain de l’eau, qui se prolonge sur des millénaires, creuse continûment la roche pour y former des cavernes : « l’eau perle goutte à goutte aux voûtes de la grotte, trouve issue par les pores, les méats de la roche, et le calcaire en solution revient à son état solide, mais de sa longue intimité avec l’eau il a gardé le goût de la fluidité et des formes lisses. Comme dans un moulage ou sur une image instantanée soustraite dans la brusquerie à l’écoulement du temps, sont immobilisés l’ondulation, le rebond souple, les glissements superposés pli contre pli de nappes liquides que rien désormais ne viendra froisser. Cela donne, comme en glorification de la méthode persévérante qui s’est exercée là, des dégoulinades grandioses, encroûtements, pendeloques géantes, avec, en surface, un air de glaçage sucré. »

Suit le recensement de la « troupe végétale victorieuse et désinvolte avec ses hampes et ses oriflammes, ses défenses d’épines » qui occupe la surface et où se mêlent genêts, cistes et chênes-verts. « Du buisson défensif sortent les inflorescences, fleurons, fleurettes en bouquets denses de petits tubes, capitules qui sont des perruques teintes en carmin, bleu ou jaune sur la tête ronde des chardons. » Ici, le lexique botanique nourrit la métaphore et se pare des prestiges du poème.

Mais ces Leçons de ténèbres ne seraient pas complètes si n’étaient évoquées aussi les peintures rupestres et le peuple d’animaux dont elles perpétuent la mémoire, bisons, mammouths, rhinocéros laineux et « aurochs encornés de lyres. » L’auteur accorde une attention particulière à l’ours, qui a dû fasciner l’homme des grottes par sa ressemblance avec lui : « C’est un parent sans doute, un ancêtre qui vient des temps reculés, quand les créatures s’engendraient des entrailles de la terre. De ses origines, il a conservé le goût des profondeurs matricielles. Il s’y retire pour son sommeil (quand l’ordre supérieur qui régente les météores, les arbres et les bêtes aura dit que c’était le temps), répétition pour un autre sommeil où va se perpétuer le statut du dormeur. » Il s’attarde aussi sur le destin du « beau petit cheval » asiate, « bel équidé à la robe isabelle », « equus exquis » auquel le major général Przewalski donnera son nom et qui subsiste encore dans le Causse Méjean. L’auteur ajoute que « ces représentations du monde et de son devisement où la seule part animale est glorifiée ont les attributs des images religieuses dans la pénombre semblable des lieux consacrés », comparant le peintre primitif qui appose l’empreinte de sa main sur la paroi ornée au « donateur en oraison sur une peinture d’église. » Ce faisant, l’homme préhistorique affirme sa présence bien qu’il ne se représente pas en effigie.

« La littérature n’existe, dit l’auteur dans son prologue, que si sa langue est autre chose qu’un véhicule servant à dire, plus qu’un outil, un truchement, un truc pour… » Leçons de ténèbres, qui se situe à la croisée de plusieurs disciplines scientifiques, comme la géologie ou la botanique, est surtout un exercice de pure littérature, au meilleur sens du terme.

Sylvie Huguet 
(30/07/09)    



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Editions Rhubarbe

60 pages - 6,50 €









Bernard Dumortier