Dominique FERNANDEZ

L'art de raconter


C’est un livre de passion, et donc un livre partial que vient de publier Dominique Fernandez. Il y exprime tout l’amour qu’il éprouve pour le genre romanesque, en affirmant sans ambiguïté ses préférences. L’Art de raconter commence par un parallèle entre deux conceptions antagonistes, celle de Stendhal et celle de Flaubert. Le premier est un romancier primesautier, qui écrit rapidement et par plaisir et à qui il ne viendrait pas à l’idée de sacrifier sa quête du bonheur à l’élaboration de son œuvre. Flaubert, au contraire, entre en littérature comme on entre en religion ; l’écriture est pour lui un labeur douloureux, une ascèse à laquelle il consacre son existence. Ce faisant, il coupe le roman de la vie elle-même. Dominique Fernandez, en constatant que les épigones de Flaubert l’ont emporté, voit en lui le responsable de cette exténuation anémique, de ces vaines recherches formelles dont souffre une bonne partie de la littérature contemporaine. Par la suite, il s’oppose vigoureusement à Valéry comme à Borges, coupables d’avoir méprisé le roman qu’ils considéraient comme un genre impur et bavard. La polémique ne va pas ici sans quelque injustice, l’auteur reprochant au second son inspiration avare et sans couleur et son impuissance à raconter, sans soupçonner apparemment qu’un lecteur éclectique puisse être aussi bien séduit par les constructions cérébrales de Fictions que par l’abondance chatoyante d’un Gabriel Garcia Marquez. Il consacre aussi un long chapitre au « mentir/vrai », où il n’hésite pas à affirmer que le recours à l’imaginaire permet au romancier, voire au biographe, d’atteindre une vérité beaucoup plus authentique et plus profonde que celle d’un récit factuel.

Après une deuxième partie où il se livre à un parallèle entre roman et opéra, Dominique Fernandez aborde un à un les romanciers qui lui sont chers, avec une sensibilité et une justesse critique qui lui permettent d’épouser chez chacun le processus créateur. Il commence par les « aventuriers », au premier rang desquels il place Stevenson. On lui sait gré de rendre au roman d’aventures, qui est selon lui la forme originelle du genre, la place essentielle qui lui revient, de reconnaître à un Dumas tout le génie qui est le sien et de tirer de l’oubli un James Oliver Curwood, qui, loin d’être seulement un auteur pour Bibliothèque Verte, reste avec Jack London un des meilleurs peintres du Grand Nord, de ses animaux, de ses chercheurs d’or et de ses trappeurs. Après avoir traité ainsi de Defoe, de Kipling, de Melville et de bien d’autres, il aborde ceux qu’il appelle les « narrateurs ». Là encore, il fait preuve d’un dédain roboratif et réjouissant pour les hiérarchies toutes faites : il va jusqu’à réhabiliter un Maurice Dekobra, à qui il reconnaît un authentique talent. Surtout, au mépris de toutes les modes, il n’hésite pas à placer Les Thibault au nombre des romans les plus importants du vingtième siècle : « Cette grande œuvre se dresse, seule, en face de celle de Proust, et non seulement en face, mais contre celle de Proust. Martin du Gard est la seule voix qui réponde à la voix de Proust, et qui non seulement apporte une réponse importante et capable de faire le poids, mais aussi, mais surtout, une réponse négative à l’appel du proustisme, une dénégation de la problématique même de l’art, telle que Proust l’a imposée, pendant des générations, à l’Europe ».

L’art de raconter se révèle donc une lecture des plus stimulantes pour l’amateur de littérature, qu’elle met en contact avec un esprit d’une finesse, d’une culture et surtout d’une liberté exceptionnelles. En sa compagnie, on redécouvre des auteurs aussi différents qu’André Gide, Milan Kundera ou Panait Istrati. Dominique Fernandez, en matière de romans, ne reconnaît d’autres lois que celle de son plaisir et de ses goûts, qu’il nous invite à partager avec la même gourmandise.

Sylvie Huguet 
(02/04/07)    



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Editions Grasset
604 pages
22,90 €