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Benoît FOURCHARD

Clémence et l'acteur nu


Huit nouvelles où des personnages ordinaires perdent les pédales.

Nina est un fil qui court sur plusieurs nouvelles. Une fonctionnaire tristement effacée et solitaire de jour, voyou conquérant "genre petite frappe à qui on ne la fait pas" à draguer dans les bars enfumés la nuit (Nina). Nina, Nino, une "tête de garçon sur un corps de femme" dont son voisin de bureau, archiviste comme elle, est amoureux, en silence, sans jamais lui adresser la parole. Un rayon de soleil dans sa vie coincée entre une mère omniprésente et un chef de service autoritaire. A la tombée de la nuit, tel un loup à la recherche de Nina qu'il reconnaît en chaque femme rencontrée, il rôde... Parfois, crime réel ou fantasmé, un corps tombe dans le canal... (Auguste Dumontier)
Nino, pianiste occasionnel, rencontré lors d'une de ses soirées dans un bar par Gabrielle. Une femme et mère modèle qui, "chose parmi les choses", élève les quatre enfants qu'elle a eus avec Édouard, "homme viril quoiqu'un peu austère et un peu plus âgé qu'elle", "chef d'entreprise redouté respecté", et découvre au Cabaret des Vertiges, sur une chanson de Dalida, que son époux n'est pas celui qu'elle croyait. (Une maison bien tenue)

La nouvelle titre met en scène un homme amoureux mais las et jaloux et sa femme pleine de vie et prête à tout. Elle l'entraîne au théâtre, pour une pièce d'avant-garde où un acteur nu dit l'abandon, "les coups les bleus les cris le sang. Puis les antidépresseurs anxiolytiques neuroleptiques antihistaminiques. Puis l'envie de tout jeter. D'être un autre. Un quelconque. Un normal." Délire en direct. Là, fiction ou réalité, par Clémence, la même, une autre, tout bascule dans la folie...

Dans une autre, un homme, à quelques années de la retraite, qui se voit mis à l'écart par son chef de service de l'âge de son fils, "tout frais sorti de ces écoles de commerce et de management moderne", croit, après un entretien humiliant avec lui, dans le métro qu'il emprunte pour revenir chez lui, apercevoir les sosies de Pinochet, Hitler, Mussolini... Il n'est pas sous les projecteurs mais délire tout autant. Sur le boulevard c'est Mao et Khomeiny qu'il croit croiser... puis de retour dans le métro, il croit voir Staline, Salazar, Franco, Amin dada, Ceausescu, Pol Pot, Goering... "Ils sont là, tous, masse grise, je peux les toucher, ils me regardent, sans un geste, sans une parole, sans expression dans les visages, impassibles, avec moi, autour de moi, pour moi..." (Transports en commun)
Toutes ces nouvelles se situent à la frontière entre rêve, délire et réalité. La folie guette et les masques tombent.

Bibi, lui, n'a pas pété les plombs, il a toujours été hors jeu, n'a jamais rien compris ; c'est un homme simple, craignant l'invasion des Russes, qui éprouve une passion immodérée pour Miss Gorilla, phénomène velu d'un cirque ambulant qui passe chaque années dans son village. Quand, chapiteau déserté, les saltimbanques annoncent leur dernière visite, le naïf les suit en mobylette. Belle opportunité pour le peu scrupuleux directeur de la troupe de l'utiliser pour régler des comptes sanglants... (Miss Gorilla)
"Nous sommes faits de la même étoffe que nos songes" écrivait Shakespeare.

Deux nouvelles sortent du champ commun, celui de la folie ordinaire, mais témoignent du même goût pour le cérémonial et le théâtre :
La méthode Maxwell ou l'auteur dénonce la logique implacable des sectes et les ravages qu'elles peuvent faire.
Post Mortem où un septuagénaire décédé a écrit par avance le cérémonial de son enterrement, se réjouissant de la rencontre de ses femmes, maitresses, enfants légitimes ou non, - dont une Nina apparue dans sa vie quelques mois auparavant -, à sa soirée funéraire. "J'en jubile et j'ai les papilles qui s'émoustillent." Drôle et méchant à souhait !

Des fils relient toutes ces histoires : la folie, les fantasmes, la solitude, l'envie d'une autre vie voire le travestissement ou la mise en scène.

Les personnages dépassés, décalés, provocateurs, solitaires nous ressemblent comme des frères.
Et cela nous fait d'autant plus frissonner que l'auteur privilégie, pour ses portraits grinçants, l'humour et le délire à l'humanisme ou à l'apitoiement bien pensant.
Le monde peint par l'auteur est sans espoir, les personnages naviguent sans boussole, les situations sont insolites et le lecteur se laisse embarquer jusqu'à l'errance absolue, le sourire aux lèvres, rire jaune et humour noir, jusqu'à la déraison.

" Qu'est-ce que la vie ? Une folie
qu'est-ce que la vie ? Une illusion,
une ombre, une fiction
Le monde est si étrange
qu'y vivre c'est rêver "
P. Calderón

Un désespoir jubilatoire porté par un rythme nerveux, des phrases courtes et une langue faussement orale d'une redoutable efficacité.

Le livre, comme toujours chez cet éditeur, est un objet raffiné, beau papier et illustration de couverture (Catherine de Rosa) à l'unisson, étrange et superbe !
Une découverte à ne pas manquer.

Dominique Baillon-Lalande 
(13/04/11)    



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Editions La Dragonne

116 pages - 16 €







Benoît Fourchard
est né en 1959.
Comédien et metteur en scène, il écrit depuis une vingtaine d'années pour le théâtre et le cinéma.
Il anime la compagnie Les Fruits du hasard, qui a notamment adapté pour la scène Vanité, l'une des nouvelles de La viande rouge rend très habile
(La Dragonne, 2005).