Roland FUENTÈS

Le mur et l'Arpenteur



Olfan appartenait à l'illustre confrérie des Arpenteurs, « chaque jour il auscultait le mur pour prévenir d'éventuelles avaries [...] Il n'utilisait pas d'autres outils que la vue et son pas. »
Tous les habitants de cette ville étrange vivaient, tranquilles, au pied d'un mur infranchissable. « De mémoire d'homme, le mur avait toujours été là. Dans ce territoire de poussière où la ville s'interrompait, créant un terrain nu, un espace libre pour le vent. [...] Ceux qui ne l'avaient jamais vu le concevaient et l'acceptaient. Il était une réalité solide. »
La noble compagnie des Arpenteurs étaient enviée ou crainte. « Le comportement des arpenteurs dans la vie civile renforçait cette impression d'oisiveté permanente, car leurs nerfs, soumis à rude épreuve durant l'exercice de leurs fonctions, se relâchaient. Selon leurs natures respectives, les Arpenteurs se révélaient alors violents et débauchés, ou rêveurs irrécupérables. »

Olfan, lui, était un homme sans histoire, aimant son métier, avec pour deuxième passion la navigation. Avec « une coquille de noix usée mais qui possédait une voile et se laissait manier sans caprice » il gagnait la haute mer et « s'enfonçait dans cet espace dépourvu de repères ».
Sa vie se partageait donc entre son travail, ses escapades au large et ses ébats amoureux avec la lingère Altamaria. La belle à la sexualité exigeante était en manque depuis la séquestration de son mari par une amante redoutable, « bourge à fesses rondes [qui] n'était pas la plus malheureuse des guenons », sorte de mante religieuse jetant les hommes après usage et persécutant les femmes.

Un jour, alors qu' « Olfan n'avait parcouru qu'une centaine de mètres, le mur lui fit de l’œil. Il arborait, posé sur sa blancheur immaculée, à peine éclos mais clairement visible, cet insecte rare et convoité par tout arpenteur qui se respecte. Une lézarde. Petite, bien faite. Endormie semblait-il à la surface de l'immensité pierreuse qui lui avait donné vie. » Une chance car « la rénovation d'une zone avariée donnait lieu à des réjouissances populaires. Aux gens du quartier s'ajoutaient des convives accourus depuis des parties lointaines de la ville, chacun apportant un plat, une bouteille, une cornemuse, un tam-tam » et l'arpenteur, héros du jour, voyait satisfaire tous ses désirs.
C'est pendant ces bacchanales que notre héros rencontrera l'indépendante et gourmande Pandora, « petite femme rousse qui s'ingéniait à l'aguicher, une grappe de raisin enfouie entre ses deux seins ronds », ouvrière dans l'usine d'huile à rhubarbe qui savait inventer « l'art de rendre miraculeuse sa présence au quotidien. »

Mais le mur est omniprésent et si les autorités sont vigilantes à ce qu'il ne soit jamais remis en cause ni franchi, la petite bande, en secret et chacun à sa manière, imagine ce qu'il pourrait y avoir de l'autre côté ou ce qui préexiste à sa construction. Pandora va même jusqu'à inscrire le récit de ses songes sur des feuillets indéchiffrables qu'elles froisse et conserve religieusement comme des talismans.
Quand leur ami l'archéologue découvrira les traces d'un "avant le mur" et que le riche apothicaire, jaloux de leur bonheur, les poursuivra de sa haine les mettant en danger, la nécessité de passer de l'autre côté s'imposera à eux.

Dans ce roman, entre science-fiction et fable philosophique, l'auteur nous immerge dans un huis-clos à la Kafka revu et corrigé avec la fantaisie d'un Italo Calvino. L'univers intra-muros angoisse et fascine mais la pesanteur de l'enfermement est habitée et égayée par un florilège de personnages riches, divers et sensuels qui représentent une vraie palette des sentiments humains : jalousie, haine, amour, frustration, désir, rêves, énergie, peur...
Ce récit haut en couleur, original, étrange distille une atmosphère prégnante, pesante parfois, mais zébrée de fulgurances érotiques et surréalistes qui font déraper le récit et insuffle dans tout cela une certaine légèreté, un épicurisme réjouissant à mettre les sens en éveil et le cœur en joie.
Le style est impeccable, le registre de langue travaillé, le rythme vif et le lecteur accroché se laisse embarquer dans cette drôle d'aventure avec bonheur.
Un roman atypique et plein de charme. Une belle curiosité à découvrir.

Dominique Baillon-Lalande 
(16/09/08)    



Retour
Sommaire
Lectures










Editions Les 400 coups
124 pages - 12 €








Roland Fuentès,

nouvelliste, romancier et auteur de livres pour la jeunesse, a reçu en 2003 le Prix Prométhée de la nouvelle pour Douze mètres cubes de littérature (éditions du Rocher).