Le roman commence comme une satire des vigoureuses méthodes de management qui bouleversent la vie des entreprises et de leurs salariés depuis quelques années. Chumy, un nouveau directeur, arrive au quatrième étage de la société Mécaprod SA et beaucoup de lecteurs reconnaîtront ces pratiques pour en subir les ravages dans leur entreprise.

Un matin, sans préavis, Chumy nous réunit. Le grand requin pâle projette sur un écran des schémas, illisibles, farcis de flèches et de pavés de couleur qui bougent et s'empilent sur le grand écran blanc. On n'y voit plus rien, mais nous avons compris l'essentiel : Chumy réorganise notre Dream Team. On ne change pas une équipe qui gagne ? Détrompez-vous. Ce qui marchait bien auparavant ? Rien. Avant moi le déluge. Du passé faisons table rase. Les lendemains qui chantent, c'est aujourd'hui. Le diapason, c'est moi.
[…] si Chumy écoute aimablement, il n'entend pas. Il suit son idée, mais personne ne sait laquelle.

Outre les changements de bureaux, les déplacements de personnes, les autoévaluations, les certifications de qualité et autres analyses fonctionnelles, toutes les technologies modernes sont mises en œuvre par Chumy dans sa "démarche de progrès" : caméras de surveillance avec écrans de contrôle dans son bureau, logiciel Big Brother de gestion des emplois du temps, pointeuses par empreinte biométrique du pouce…

Marco, le narrateur, est responsable de la formation des personnels et plus particulièrement dans le domaine du secourisme d’entreprise. Très attiré par ses charmantes collègues, il a une liaison avec Valentine (mariée, trois enfants) mais n’est pas insensible au charme d’Angélique, son assistante, avec qui il a monté "une jolie petite arnaque" qui leur assure de copieux revenus européens.

Les fonctionnaires européens en prennent d’ailleurs pour leur grade dans ce roman. "Bureaucratie, bruxelloise, europarasites, rats, nains de jardins"…
Bidon pour bidon, j'ai monté un projet complètement virtuel.
Après tout, l'argent de l'Europe, ce n'est jamais que de l'argent français qui retourne en France, non ? De l'argent qui engraisse au passage des bureaucrates livides et surpayés. Ces rats bien habillés qui dépensent leurs euros derrière les vitrines des quartiers chauds de Bruxelles et d'Amsterdam et vont se requinquer ensuite, sur note de frais, devant une salade flamande aux légumes ou une côte de marcassin forestière.

Marco et Angélique, avec la complicité d’un fonctionnaire de la préfecture, ont donc inventé le cabinet Avantâge Conseil et monté le projet SeniorMax pour la gestion des âges dans l’entreprise afin que les quinquagénaires puissent transmettre les savoir-faire informels, assurer le tuilage, mettre en place les conditions optimales de l’osmose entre générations. Ces trucs-là font un carton à Bruxelles.

Escroquerie, faux et usage de faux, détournement de fond publics, tout cela peut rapporter beaucoup d’argent mais aussi, en cas de contrôle, beaucoup d’ennuis.
Et voilà justement qu’un fonctionnaire de la mission Transparence et Probité annonce sa participation au prochain colloque (évidemment virtuel) de SeniorMax.

C’est là que le roman bascule dans le polar ! Marco choisit la fuite en avant mais tout ne se passe pas aussi bien qu’il pourrait l’espérer...

"Polar ludique", ce livre se lit avec beaucoup de plaisir et l’auteur ne recule pas devant un humour corrosif parfois émaillé d’aphorismes : ce n’est parce que j’ai un pied dans la tombe qu’il faut me marcher sur l’autre.

Une excellente occasion de se détendre après les tracas d’une journée de bureau ou les mesquineries d’un chef d’équipe imbu de sa miette de pouvoir, une revanche sur tous les Chumy qui génèrent stress, dépressions et suicides avant de disparaître à leur tour. Les requins aussi peuvent être les victimes des dents de la mer…

Serge Cabrol 
(22/07/10)