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Laurent GAUDÉ

Ouragan



C’était avant l’ouragan. La ville vivait normalement. Les riches avaient leur richesse. Les pauvres étaient pauvres. Blancs et riches, deux mots qui allaient ensemble, noirs et pauvres se conjuguaient toujours. Le racisme perdurait de façon latente. Les crimes racistes n’étaient pas oubliés par les noirs mais étaient effacés par les blancs.

La Nouvelle-Orléans a commencé à sortir de ses habitudes quand l’ouragan fut annoncé. Les Blancs sont partis en masse sur les routes. Les Noirs sont restés en grande partie. Les prisonniers, noirs pour la plupart, ont été abandonnés dans la prison. La logique n’a pas changé devant la menace de catastrophe. On sauve les vies qui semblent essentielles, on laisse les autres qui sont quasiment transparentes.

L’ouragan est arrivé. La nature a repris ses droits, montré que l’homme n’est rien, qu’il ne peut rien contre la violence des éléments et qu’il est souvent absurde et égoïste dans ses jugements. Quand les hélicoptères sont revenus avec des cars pour évacuer ceux qui étaient restés, il n’y avait que des Noirs dans le vélodrome où ils s’étaient regroupés. La honte.

Nous suivons l’histoire de plusieurs personnages, noirs pour la plupart. Ils restent à La Nouvelle-Orléans jusqu’à l’arrivée de la tempête. On les voit lutter, abandonner, reprendre le combat. On partage leurs émotions, leurs bonheurs au milieu du pire, leurs retrouvailles, leurs séparations, leurs vies, leurs morts. De grands moments où le monde apparaît dans sa nudité, dans ses bassesses et ses grandeurs. La solidarité a existé dans les moments de dénuement total mais aussi la défense de ses intérêts propres dans des périodes où il faut se battre pour survivre.

Nous retrouvons sous une autre forme par rapport à La porte des enfers, la porosité entre le monde des morts et le monde des vivants.
Comment donner un sens à sa vie : « Il n'y a que cela qui fasse tenir le monde debout, la fidélité des hommes à ce qu'ils ont choisi. Je voulais être un roc mais il ne me reste que des souvenirs. Je veux être fidèle à Marley, par-dessus soixante-dix années de solitude et tant pis si nous n'avons vécu ensemble que quatre petites années, tant pis si j'étais une gamine aux seins fermes et aux jambes galbées qui riait souvent de sa propre jeunesse, je suis fidèle à Marley parce que cela seul éclaire la solitude des années que j'ai passées à veiller sur mes enfants avec ma rage et mes griffes - et pourquoi l'ai-je fait, au fond, si c'était juste pour nourrir la mort ? Je suis fidèle à Marley et j'irai mourir dans le bayou où ils l'ont noyé. Il n'y a que cela qui ait un sens. Puisque personne n'est là pour me fermer les yeux, je les garderai ouverts, et les poissons viendront se réfugier dans ma chevelure. Il y aura cela, au moins, qui fera tenir le monde. La vieille Joséphine, négresse par principe depuis presque cent ans, flottera dans les mêmes eaux que son homme et une chose, au moins, ici-bas, sera à sa place. »

Un grand bonheur de lecture malgré l’émotion et la peur partagées avec les personnages qui nous donnent des leçons de vie et de philosophie.
Un roman que l’on ne quitte pas dans le souffle de l’ouragan dont on suit dans la violence.

Brigitte Aubonnet 
(31/08/10)   



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Lectures










Editions Actes Sud

192 pages - 18 €




Laurent Gaudé,
né en 1972, a publié chez Actes Sud dix pièces de théâtre, six romans et un recueil de nouvelles.
Il a obtenu plusieurs prix dont le Goncourt 2004 pour Le Soleil des Scorta.



Bio-bibliographie sur
Wikipédia


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du même auteur :

La Porte des Enfers