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Claire GRATIAS


Breaking the Wall



Berlin. Une ville coupée en deux par le Mur. Des familles séparées, des couples déchirés, des morts.

Berlin-Est. Markus Schloss, 48 ans, fonctionnaire, après un malaise cardiaque et une attaque cérébrale, se réveille dans un lit d'hôpital paralysé du coté droit et incapable de prononcer un mot. Progressivement il va récupérer l'usage de ses membres à l'exception de sa main « obstinément fermée en un poing tremblotant d'où émerge un index vaguement revendicateur » mais l'aphasie, inexplicable médicalement, perdure. Son itinéraire d'enfant obéissant, d'étudiant modèle soucieux de faire la fierté de son père et d'être digne de cette jeune république démocratique qui compte sur lui, sa carrière de brillant officier au ministère de la sécurité d'état (STASI), tout lui conférait jusque là une exemplarité absolue. La Stasi (abréviation de Staatssicherheit) était un service secret créé en 1950 dans la tradition de la "Tcheka" (ancêtre du KGB) pour être "le Bouclier et l’Épée" du Parti en accumulant par tous les moyens un maximum de renseignements sur tous pour empêcher les opposants éventuels de nuire ou de fuir.
Markus rentré chez lui met sa convalescence et son mutisme au service d'une plongée introspective dans son passé qui passera par le journal d'Anna, cette jeune fille rencontrée à 27 ans, cet amour de jeunesse dont le mur l'a séparé et qu'il n'a jamais pu oublier. Celle dont le cri, il y a seize ans, lui a lacéré le ventre. Celui dont le nom de code était "Fuchs" (le renard) prend soudain conscience de la vanité de cette vie où il n'a jamais fait que jouer un rôle. « Pendant des années j'ai fait partie de la troupe de pantins. (...) J'ai fait ce qu'on attendait de moi. J'ai servi notre République démocratique avec application et professionnalisme (...) et j'ai réussi. Mon père était fier de moi. Stolz. Mais moi... S'il savait à quel point je me méprise... Je ne suis plus le roi du monde. Plutôt le roi des imbéciles. » On est en juillet 1989, tandis que l'influence des "contre révolutionnaires" grandit, que le rideau de fer se fissure de partout, que dans les rues de Leipzig et de Berlin tous les lundis la population manifeste, Markus fait sa révolution intérieure.

A Berlin-ouest, au même moment, Klaus Weber se laisse convaincre par une jeune documentariste française de raconter son histoire pour la première fois depuis qu'il s'est installé ici. Né à l'Est, il a tenté à l’adolescence, par amour du rock’n’roll, de franchir le mur clandestinement avec son frère Erik. Une tentative ratée. Le mur, – « vous voyez ce truc immonde ? A cause de lui, toute ma famille est morte. D'abord mon père, puis ma mère et pour finir mon frère. » – il le franchira plus tard grâce à la pression d'amis passés à l'Ouest, "racheté" 50000 marks par la RFA. Anna, amoureuse d'Erik, avait bien failli être du voyage. Klaus, cassé par cette dramatique aventure et par la détention qui suivit, à jamais seul au monde, déchiré entre ses souvenirs de l'Est et son jugement sévère sur l'Ouest capitaliste, tente d'oublier et de se reconstruire à partir de son travail de barman dans un café-concert.
De chaque côté du mur, les deux hommes restent prisonniers de ce passé qui nous est révélé par le cahier d'Anna. Cette jeune adolescente de l'Est pleine de vie et d'appétit, en qui s'agite bien des questions personnelles ou politiques, fait lien entre les deux hommes. A partir de ces confidences quotidiennes empreintes souvent de naïveté, elle nous plonge dans la RDA des années 70. Au cœur de cette vie étudiante, chacun avec ses histoires de famille, ses espoirs et ses craintes, son parcours amoureux, ses amis, nous dévoile une part de cette société que seul le parti en place détermine.

Le 9 novembre 1989 lors d'une conférence de presse, le porte-parole du gouvernement de la RDA annonce que tous les citoyens peuvent obtenir un visa pour aller à l'Ouest. Le mur qui divise la ville de Berlin, symbole de la guerre froide depuis près de vingt ans, tombe dans une clameur populaire retentissante. Markus, Klaus, Anna, chacun pourra tourner là, enfin, une page dramatique de son histoire.

Berlin, 1991 : Klaus en consultant les archives de la Stasi, pourra enfin savoir qui dans leur cercle proche d'étudiants en littérature était le "collaborateur non officiel" de la Stasi, connaître le nom de celui qui a trahi, provoquant la mort d'Erik, brisant sa propre vie et celle de la jeune Anna.

C'est à travers l'histoire de ses personnages emmurés dans leur passé qui tentent d'explorer leur part d'ombre que l'auteur nous plonge dans cette RDA des années 1970. C'est par la souffrance ressentie dans leur chair par ses héros qu'elle tente d'incarner l'absurdité de ce mur de briques surmonté de barbelés et le drame de cette ville divisée. Elle analyse les conséquences de la guerre froide sur les destins individuels, souligne la perversité du système et son engrenage implacable, illustre la nécessité universelle de se battre toujours contre le totalitarisme et pour la liberté. Un roman historique où sont aussi abordées les délicates questions de la responsabilité, de la trahison et du difficile choix entre pardon et désir de vengeance.

En bon roman noir, celui-ci s'ouvre sur une scène énigmatique qui ne s'éclairera que dans les dernières lignes. Mais petit à petit, amour, jalousie et deuil viennent nourrir le récit pour le faire alors glisser du polar au roman psychologique.

Un ouvrage facile à lire au rythme soutenu, construit sur un va-et-vient permanent entre les deux côtés du mur par l'intermédiaire des deux personnages, avec un mouvement de balancier permanent entre passé et présent. Au centre, en un épais cahier, le journal d'Anna, adolescente puis jeune fille, vient faire lien et donner les clefs nécessaires à la compréhension de l'ensemble. Face aux heures sombres de l'histoire ici évoquées et aux drames qui s'y rattachent, la fraicheur et la vitalité d'Anna, comme une respiration, viennent illuminer le passé.

L'humanité douloureuse des trois protagonistes et leurs possibles retrouvailles au pied du mur maudit, la joie salvatrice ressentie collectivement mais aussi personnellement par chacun à cet instant, confère à la flambée euphorique de cette nuit historique du 9 novembre 1989, bien au-delà du symbole, une intensité et une gravité émouvante.

A la fin du livre, l'unité enfin retrouvée de Berlin, victime de cette partition sauvage si peu de temps après les destructions de la guerre, permet à l'auteur de terminer sur une note d'optimisme possible. Un roman intelligent et sensible pour tous à partir de 14 ans.

Dominique Baillon-Lalande 
(09/11/09)    



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Jeunesse









Editions Syros

Collection Rat Noir

242 pages - 13 €









Claire Gratias,
après avoir enseigné la langue française, a choisi de se consacrer à l'écriture. Elle a déjà publié huit livres dont trois chez Syros.





Vous pouvez lire un entretien avec Claire Gratias sur le site
www.k-libre.fr




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Une sonate pour Rudy

Syros / Rat Noir