De la terrible et magnifique histoire des créatures les plus moches de l'univers


Polo a onze ans. Dans son pays, tous les enfants depuis l’âge de huit ans travaillent douze heures par jour. Lui, il range dans une boîte des crayons de couleurs pour la société Jeux-Jouets-Joie au bénéfice d’un richissime industriel que personne ne connaît. La menace de l’atelier disciplinaire où on envoie les récalcitrants est suffisamment dissuasive pour qu’il se plie docilement à cet esclavage qui leur assure, à lui et au grand-père qui l’héberge, à peine de quoi survivre. Mais un enfant reste un enfant et sa tâche répétitive et fastidieuse n’empêche pas l’arc en ciel des couleurs de parler à son imagination. Pour oublier la fatigue, le jeune rebelle en fuite qui le terrorise et le rackette, la maladie du vieillard et la misère qui l’entoure, il se dessine, avec des crayons judicieusement choisis et dérobés à la barbe du contremaître hargneux, un monde à sa fantaisie. Il est doué, les petits monstres dont il garnit ses feuilles sont magnifiques.

Dans le même temps, mais dans l’espace intergalactique, les Yurks, extra-terrestres à la laideur telle qu’ils hésitent à se reproduire, mettent leur énergie et leur technologie sophistiquée et performante au service de leur quête ultime : trouver une enveloppe extérieure plus attrayante pour muter et assurer ainsi la sauvegarde de l’espèce et de leur civilisation.
Le voyage semble interminable mais, un jour, « Pieds qui puent », le guetteur en faction, repère sur ses écrans une planète au développement industriel polluant et archaïque habitée par des créatures au comportement étrange mais apparemment dotées d’intelligence, qui pourrait correspondre aux critères techniques requis. Les risques de l’aventure sont importants et les Yurks partagés sur la décision à prendre. Mais « Pieds qui puent » saura être convaincant et parvenir à ses fins. Il ira en mission sur terre pour enlever le petit dessinateur qu’il a repéré…

Une fable où l’on retrouve l’humour ravageur et la fantaisie réaliste de cet auteur inclassable. Le talent et l’originalité qui avaient su séduire le lecteur dans Mort d’un parfait bilingue (prix Rossel 2001) ou A part moi personne n’est mort sont ici intacts mais positionnés à hauteur d’enfant. Ainsi, le réquisitoire grinçant contre les dérèglements du monde auquel Thomas Gunzig se livre de nouvelles en romans reste au cœur de cette fiction délirante. Mais oubliées les images-chocs et l’expression outrancière de la violence. L’auteur, pour transcrire son univers à l’âge tendre, change de palette, émaille son récit de fulgurances poétiques et de tendresse. Exit la fin en apocalypse dont il est coutumier ; cette fois, les gentils triompheront, histoire de ne pas entrouvrir la porte aux cauchemars.

Ce n’est pas sans curiosité, ni doutes que j’ai ouvert ce livre. L’univers impitoyable du jeune Belge, son goût pour le grand guignol qui fait rire là où ça fait mal, son art de manier l’absurdité et le dérisoire, ce désespoir poliment planqué sous une bonne dose de dérision ne me semblaient pas a priori le prédestiner à l’écriture pour les enfants.
Le pari était audacieux, mais il est réussi. C’est là du vrai Thomas Gunzig, intelligent, féroce et drôle mais…en un peu plus rose.

Dominique Baillon-Lalande 



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Jeunesse




Thomas Gunzig
De la terrible et magnifique histoire des créatures les plus moches de l'univers

Editions Labor
5 €




A partir de 10/11 ans