Jacques IZOARD

Lieux épars


À ma grande tristesse, Jacques Izoard, l’une des grandes voix de la poésie de langue française, s’est éteint le 19 juillet dernier, à l’âge de 72 ans. L’homme, que j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs fois, à Liège, ville où il habitait, et à Paris, était quelqu’un de très ouvert, attentif aux autres. Il découvrit Eugène Savitzkaya, dont il devint l’ami, et soutint des poètes comme Karel Logist et bien d’autres. Il dirigea la revue Odradek et collabora aux éditions Atelier de l’Agneau. Pendant trente ans, Jacques Izoard a organisé « La Nuit de la Poésie » à Liège. Son œuvre a été remarquée et saluée par des prix : prix de l’Académie Mallarmé (1979), prix de la SGDL (1997), prix Alain Bosquet (1999), prix triennal de poésie (2001) et le prix Max Jacob, ainsi que le prix de poésie Louis Montalte en 2006.

Sa poésie privilégie des thèmes autour de petits moments (petits par le temps) qui deviennent grands par la pertinence de son écriture qui est pleine de profondeur et, de temps en temps, de douleur. Les poèmes sont de structure simple, le plus souvent, épurée, portent une grande attention sur la sonorité des mots, proposent des rencontres inattendues, parfois saugrenues mais évidentes et fonctionnent en faisant se rencontrer des vocables de registres divers (beaucoup de ses titres de recueils en font foi).

Lieux épars est un recueil paru peu de temps avant sa disparition. On y retrouve cette structure épurée, abordant des thèmes tels que : l’être, toucher, la langue, la mémoire, le sommeil, etc. Il y a une sorte de surréalisme empreint de sexuel et de visionnaire. Il nous y montre une faculté d’introspection : ironique et discrète ; et cela fait merveille. Notre esprit en est avivé, jouissant de cette poésie.

Vivre en sens inverse
avec des cals et des caillots.
Ne se souvenir que du présent
et ne voir ni futur ni passé.
Ne plus jamais toucher
l’autre, et l’autre, et l’autre.

Et plus loin :

N’insulte ni les chiens ni les cloportes ;
tu trouveras alors les clefs
qu’on croyait à jamais perdues.
N’étrangle plus ton prochain :
tu feras œuvre pie !


Ou encore :

Sans coup férir, sans dépérir
tu cours à toutes jambes
vers le miroir qui t’engloutit.
D’autres miroirs surgissent,
t’avalent à l’infini.
Sans crier gare tu t’amenuises
et disparais.


Il y a dans le recueil, une diversité de thèmes qui nous renvoie à la pertinence du titre : Lieux épars ; qui sont un ensemble de petits cycles de poésie. On peut lire le recueil d’un bout à l’autre ou, de façon aléatoire, passer d’un cycle à l’autre. On y trouve autant de bonheur de lecture. L’écriture si sensible, si attentive à l’être, nous touche intensément et nous entraîne à quitter les miroirs pour mieux se regarder. Il y a une telle dimension dans les abrupts qu’ils provoquent en nous le besoin de s’arrêter pour méditer sur un poème, à d’autres moments on est pris comme dans une fringale et l’on s’immerge dans le rythme qu’Izoard imprime à sa poésie. À noter, l’intéressant frontispice de Selçuk Mutlu (plasticien dont Jacques Izoard parle dans ce recueil) qui, comme par connivence, semble nous inviter à prendre les pas du poète. Ne faites pas fi de cette invitation : allez-y ! Vous ne le regretterez pas.

Je tiens aussi à signaler qu’en 2006, chez le même éditeur, sont parus les deux volumes des œuvres complètes de Jacques Izoard. Un bonheur à ne pas rater.

Gilbert Desmée 
(01/08/08)    



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Poésie









Editions de La Différence
Collection Clepsydre
190 pages - 15 €









Photo : © Jean-Luc Geoffroy
Jacques Izoard


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qui ont publié
les œuvres complètes
de Jacques Izoard
en deux tomes.