Patrice JUIFF

La taille d'un ange



On connaissait Patrice Juiff pour ses romans, le voilà qui s'adonne à la nouvelle avec un recueil de neuf textes courts où l'on retrouve les personnages cabossés par la vie que l'auteur affectionne tant.
La plupart des nouvelles, avec leur atmosphère de misère ordinaire, de drame familial, de banalité dans son effarante réalité, sont, sous un autre format, dans une totale parenté avec Kathy ou Frére et sœur.

Que ce soit avec un personnage d'adolescente à peine grandie, maman depuis peu, séparée de son amoureux incarcéré pour quinze ans suite à une accusation de viol collectif (nouvelle titre) ou cet autre qui par le biais d'un carnet découvre les liens singuliers qui l'unissent à celle qu'il croit sa sœur (Le premier vrai souvenirs que j'ai d'elle), ou bien la grande sœur du Dimanche matin qui doit choisir chaque semaine quelle sera la victime de l'alcoolisme et de la violence du père face à l'impuissance de la mère, la maison familiale est un monde clos, gangrené par le secret, la frustration et la violence.

Dans l'univers de Patrice Juiff, les sentiments des personnages sont contradictoires et précaires et la vie ne fait pas de cadeaux. Même la classe moyenne dans cette banlieue et ces zones pavillonnaires nage en plein désarroi. Derrière le décor, une bombe a ou va éclater et des hommes et des femmes ordinaires, semblables à nous, ni bons ni méchants, tentent de survivre malgré tout.

Parfois le ciel s'éclaircit. Dans la fumée des bars un vieil homme veuf depuis peu réconcilie le jeune narrateur avec la vie par un parcours initiatique singulier de l'amour à la mort (Mourir aussi), celui de L’Atlantique à la nage redécouvre l'amour à soixante-douze ans et la jeune fille de Un cœur en commun replonge à sa source en hébergeant dans sa propre maison cette mère folle qu'on lui a cachée si longtemps. L'auteur parvient même à adopter un ton plus léger et à nous faire sourire avec l'histoire de La pêche miraculeuse qui commence sur la rancœur et le désir de vengeance pour se terminer en farce.

Ici, ce n'est pas la chute finale mais les débuts qui prennent de court. Patrice Juiff attaque à coup de phrases chocs – « Victor a pris douze ans de taule pour un double viol qu'il n'a pas commis » ; « Papa nous tabasse tous les dimanches matin » ; « La première fois que j'ai vu ma mère c'est sur une photo » – qui immergent brutalement le lecteur dans l'urgence de la scène et la souffrance de ses protagonistes. Agressé dès lors, comme ces victimes dont l'écrivain nous narre la chute, on se retrouve soi-même précipité au plus profond de la tourmente sans même le temps de puiser dans nos références psychanalytiques, bons sentiments ou a priori confortables, immédiatement aptes à ressentir "avec", de l'intérieur ces situations qui exposées à la une des journaux ne nous émeuvent plus guère. Ces personnages simples, toujours, mais auxquels l'écriture parvient à donner chair et sang s'expriment par des phrases courtes, tronquées, haletantes, incarnant la difficulté d'être et de dire. Loin de la caricature, du mélodrame ou du tragique qui tireraient ces êtres humains déchirés vers l'exceptionnel alors qu'ils ne sont courageusement qu'eux-mêmes, leur douleur, leur ambivalence deviennent nôtres.
Un livre noir, certes, mais non désespéré car si l'ombre du drame plane en permanence, au plus sombre de la nuit, une étoile, un regard, un souvenir laisse en suspens une possibilité d'entrevoir fugacement un peu d'amour ou un avenir apaisé.

Avec toutes les nuances, de la noirceur la plus absolue à la tendresse gris-rose, utilisées avec finesse et maîtrise, ces récits de vie au fil du rasoir où rien n'est jamais joué fascinent et parviennent sans peine à nous émouvoir en toute humanité, en toute simplicité. Entre amour et désamour, violence et caresse, la vie oscille. L'espoir, suspendu à un fil comme le serait un funambule de cirque, fragile mais lumineux, se laisse entrevoir quelques instants. L'horreur est tempérée par l'empathie toujours présente de l'auteur pour ses personnages, par leur fragilité et leur douleur, par cet attachement communicatif qu'il semble leur porter. L'émotion est à coup sûr au rendez-vous.

Dominique Baillon-Lalande 
(17/07/08)    



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Editions Albin Michel
280 pages
18 €








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