Abdellatif LAÂBI

Mon cher double


Le thème du double a longtemps nourri la littérature, donnant lieu à nombre de textes romantiques, fantastiques… Qui n’a pas été un jour interpellé par eux ou ne s’est pas un jour penché sur cette question ? Est-ce cette part obscure que nous portons tous en nous et qui nous talonne comme notre ombre, aussi omniprésente qu’insaisissable ?

Avec Mon cher double, Abdellatif Laâbi enracine le double au cœur de son quotidien. Il y devient une sorte de présence facétieuse qui intimide le narrateur, désemparé parce qu’il n’ose le remettre à sa place. Car c’est de place qu’il s’agit, de siège, puisque le poète reste debout dans sa chambre, face au double qui s’est installé sur sa chaise. Pire il se mêle des mots du poète et s’insinue dans la part la plus intime de lui-même. « Connais-toi toi-même » affirmait le sage, rappelle le poète. Le double assis dans la chambre du poète est une projection de celui qui a élu domicile en lui de toute éternité et il ne le connaît pas encore, au grand dam du sage s’il en était informé.

Mais double vient aussi ricocher avec dédoublement. Le double est soi tout en n’étant pas soi. Le double est l’Autre tout en n’étant pas l’Autre.

Lui se prétend argentin
alors que j’ai du mal
à m’estimer français
Plus marocain que lui tu meurs
quand je me complais dans ma sauvage liberté
d’apatride


Voilà le tourment planté au cœur d’un jardin que le poète rêvait de cultiver paisiblement… En vain… Au moment où il devine que le double est ce qui fait sa richesse, il s’esquive, abandonnant le poète.

Comme une âme en peine
je me sens moins utile
qu’une pelure d’oignon
L’aridité me gagne
Ma voix intérieure
n’est plus qu’un gargouillis


Le poète sait que l’unicité serait enfermement, appauvrissement. Écriture et poésie dépendent-elles donc si étroitement de ces jeux de miroirs et de ces tiraillements entre le poète et son double ? Lui faut-il l’agacement ou plus simplement l’étonnement de celui qui le défie et le nargue pour entrouvrir les portes du monde, le dédoubler lui aussi par l’écriture ? Qui ne serait pas ainsi tiraillé serait-il donc voué à une tranquille et stérile unicité ? Toujours est-il qu’il retrouve les traces de son double jusque dans les annotations portées sur ses manuscrits. Même sa musique traque l’oreille intérieure du poète, telle un succédané de muse…

Abdellatif Laâbi explore les modalités du double avec une lucidité teintée d’humour, d’ironie qui traverse tout le recueil avec beaucoup de force. Dans son épilogue, il reconnaît à son double des vertus décapantes / et quelque perspicacité.
Nous les reconnaîtrons sans aucun doute au poète autant qu’à ce double dont il dit qu’il l’a malmené.

Cécile Oumhani 
(22/03/08)    



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Poésie








La Différence
96 pages - 12 €








Site de l'auteur :

www.laabi.net