Un format à l'italienne. Amiens, la nuit, des photos argentiques noir et blanc avec un petit air de Doisneau signées Franck Delautre, "illustrées" par des nouvelles de Philippe Lacoche.

Le photographe – dont c'est la première publication – nous offre des clichés émouvants, habités, qui jouent avec les ambiances et la lumière. Quand l'éditeur les a montrés à Philippe Lacoche, il n'a pas hésité à y ajouter sa propre partition, en écho.
« Longtemps, je me suis couché à l’aube dans cette ville d’Amiens où je venais de débarquer. Les bars, les clubs, les restaurants encore enfumés, les concerts de rock, les visages des filles… Je contemplai les photos de Franck Delautre et tout me remonta à la tronche. Les amateurs de tourisme, de patrimoine et d’histoire locale passeront leur chemin. Il n’y a là que la terrible subjectivité de nos géographies intérieures. Comme si nous avions embarqué, le Franck et moi, sur un grand paquebot nommé « Amiens, la nuit » dans le but d’effectuer un reportage au bout de la nuit et vous raconter nos rêves de jais. Quatre yeux pour un même regard complice sur une ville que nous continuons à aimer follement. »
v Alors, dans son calme refuge de la villa Marguerite Yourcenar où il était en résidence, il a étalé devant lui les traces de l'important reportage photographique de son complice de hasard et a trié. Il n'a pas obligatoirement conservé par-devers lui les monuments les plus significatifs de la ville, ni les vues les plus originales ou les plus belles, non, son seul critère était la densité de souvenirs que chacune pouvait éveiller en lui. La photo prise comme révélateur de la façon personnelle dont lui-même avait hanté depuis plus d'une dizaine d'années la nuit de cette capitale régionale. Et si on y retrouve la cathédrale, la tour Perret, la place du Beffroi, l'hôtel de ville, le vieux cirque, qui constituent le patrimoine de la cité, on s'attarde plus longuement encore dans la gare désertée par les voyageurs, les quais de la Somme, les vieilles rues et leurs bistrots hors d'âge. Une déambulation intérieure partagée.

Le processus d'appropriation est poussé à son maximum. Pour qui a déjà eu le plaisir d'accompagner l'écrivain dans ses Petits bals sans importances, à Autumn square ou au bord de l'eau avec son Pêcheur de nuages, il est là, présent dans chaque texte, dans une étrange autobiographie parcellaire et peut-être imaginaire alliant rock'n'roll, femmes, bars enfumés et alcools. Mais loin de toute chronologie, les fragments de vie, les rencontres, anecdotiques parfois, les amantes, les amis, évoqués au gré des photos et des petites taches d'encres qui émaillent le recueil, semblent surgir de façon désordonnée et impromptue privilégiant les ambiances et les émotions, avec beaucoup de pudeur et d'élégance, toujours.

Une douce balade dans la tendre mélancolie du temps et des amours qui passent et de la nuit puisque « rien ne dure, pas même la mort ; pas même l'amour. Les coupes se vident ; les brochets ne s'attrapent qu'une fois. Et les vacances de l'enfance plus jamais ne reviennent. L'eau des rivières coule, coule. Jamais la même. ».

Reste que le lecteur qui flânera dans les rues d'Amiens la nuit ne pourra plus voir la ville sans se sentir, face à la statue de "Marie sans chemise", le quai Belu, le boulevard Alsace-Lorraine ou la place du Don, sans se sentir accompagné, en toute discrétion, par le fantôme de ce vagabond romantique et noctambule.

Un livre inclassable à se lire une nuit de mélancolie ou une soirée d'automne au coin du feu, comme une promenade au chaud des battements de cœurs. Un instant rare.

Dominique Baillon-Lalande 
(06/05/09)