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Claude LANZMANN

Le lièvre de Patagonie



Un lièvre est coursé par des chiens. « Où allons-nous ? demande-t-il à ses poursuivants. » « A la fin de ta vie, répond la meute. » Cette fable de Silvina Ocampo ouvre les mémoires de Claude Lanzmann. Ce lièvre, on l’aura compris, c’est le mémorialiste lui-même qui court après la mort pour mieux prolonger sa vie. Etrange paradoxe, dira-t-on. Mais cette vision tragique de l’auteur s’accompagne toujours d’un grand bonheur de vivre. Et quelle vie ! On parcourt ces cinq cents pages trépidantes en s’étonnant que tout cela tienne en un seul homme : l’Occupation, le maquis, l’aventure des Temps modernes avec Sartre, la naissance d’Israël, la guerre de Corée, la guerre d’Algérie et la décolonisation, 68, les errances terroristes de l’ultra-gauche dans les années 70, etc.

Lanzmann se situe toujours au carrefour de l’histoire, non comme un simple passant, mais comme un acteur engagé, armé d’une belle volonté, même s’il lui arrive de reconnaître après coup combien l’indépendance de l’Algérie, par exemple, a débouché sur pas mal de déceptions ou d’incompréhensions, tant du côté des Algériens que du côté des intellectuels de gauche. De même, sa longue amitié avec Sartre n’est pas exempte de jugements critiques, qu’il s’agisse de sa complaisance envers le parti communiste dans les années cinquante que vis-à-vis des égarés de la bande à Baader.

On ne résumera pas un tel livre, dense, touffu, fourmillant d’anecdotes tant sur la vie intellectuelle française d’après-guerre que sur les moments importants qui ont vu Israël devenir une nation à part entière. On retiendra surtout – mais ce choix n’engage que l’auteur de cet article – ce que Lanzmann écrit de sa liaison avec Simone de Beauvoir, liaison solaire, sensuelle, voyageuse, loin des clichés habituels sur l’auteur du Deuxième sexe : on y découvre une femme libre, sportive, endurante, et qui sait partager ses amours. Et puis, autre choix, on s’attardera en particulier sur les derniers chapitres qui racontent ce long cheminement que fut la réalisation de Shoah. Là, on en reste baba devant tant de ténacité, alors que la production du film a plusieurs fois capoté, alors qu’il était terriblement difficile de retrouver des témoins des chambres à gaz – victimes ou bourreaux – et encore plus de faire parler ceux qui avaient gardé le silence pendant tant d’années.

Pour le reste, à chacun de trouver son Lanzmann en parcourant ses mémoires : spectateur engagé, journaliste, réalisateur… « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. » (Sartre, Les Mots)

Pascal Hérault 
(07/02/10)    

Pour visiter le blog de Pascal Hérault : http://pascalherault.blogspot.com



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Éditions Gallimard

560 pages – 25 €