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Jacques LAYANI
Jean-Marie Girardey
Professeur de lettres, 1934-1971
Dans ses Apostrophes insolites, Jacques Layani avait adressé une
lettre fictive à l'un de ses professeurs, qui l'avait marqué d'une
empreinte définitive. C'est à ce dernier qu'est entièrement
consacré son nouveau livre, comme si l'auteur ne se résignait pas
à ce qu'un homme qui a eu une influence si essentielle sur son existence
ne laisse derrière lui aucune trace, après s'être tué
en voiture dans sa trente-septième année. Jean-Marie Girardey,
professeur de lettres, se présente donc comme un monument à
sa mémoire, un tombeau, une tentative pour arracher son image à
l'action délétère du temps constamment personnifié
dans le livre, dont c'est l'un des leitmotiv, sous les traits d'un ennemi
grimaçant et destructeur.
De Jean-Marie Girardey, Jacques Layani ne connaît au départ qu'un
nom, une date, celle de sa mort brutale, et les souvenirs éblouis mais
fragmentaires que lui ont laissés ses classes de première et de
terminale. C'est trop peu, et il ne s'y résigne pas. La première
partie du livre, cependant, est entièrement consacrée à ces
souvenirs personnels ceux d'un professeur hors du commun, d'une culture
inépuisable, dont le prestige était tel que l'adolescent, avant
même de le connaître, souhaitait ardemment être son élève.
La plume fervente de l'écrivain décrit son portrait physique marqué
par un certain dandysme, sa diction si particulière, sa bienveillance teintée
d'une ironie constante et qui pouvait être sarcastique. Les anecdotes s'égrènent,
le portrait se précise, jusqu'à l'accident qui survient en pleine
année scolaire : un jour, l'administration prévient les élèves
que M. Girardey ne viendra pas assurer son cours. Tout s'achève dans un
cimetière d'Arles où le jeune Jacques Layani assiste à la
levée du corps.
Tout s'achève et tout commence, car l'auteur va dès lors entreprendre
une quête patiente, acharnée, traversée de déceptions
mais jamais abandonnée, et qui s'étend sur des décennies,
pour compléter le portrait de cet homme qui fut si important pour lui.
Quête dont le livre restitue pas à pas toutes les étapes,
pour nous en faire partager les déceptions et les découvertes. C'est
ainsi que malgré ses recherches inlassables, Jacques Layani ne retrouvera
jamais la tombe où son professeur fut inhumé. En revanche, il découvre
sur Internet des documents, reproduits in extenso, qui attestent que Jean-Marie
Girardey exerça des responsabilités importantes dans le microcosme
des joueurs d'échecs, domaine dans lequel il excellait. Mais c'est grâce
à ses anciens condisciples, qu'il met toute son énergie à
retrouver, que Jacques Layani parvient vraiment à faire revivre la figure
de son professeur : leurs souvenirs viennent en effet compléter les siens,
les corriger, voire les contredire, et de la confrontation de toutes ces images
remémorées surgit celle d'un personnage complexe, "pétri
de paradoxes", avec ses zones d'ombre et de lumière, que l'auteur
dessine avec une scrupuleuse honnêteté, même lorsque certains
témoignages heurtent ses sentiments personnels : Girardey, en effet, s'il
s'est imprimé dans la mémoire de tous, n'a pas suscité chez
ses élèves un engouement unanime : si beaucoup, tel l'auteur, lui
ont voué une admiration fervente, d'autres, fortement politisés,
le considéraient comme leur "bête noire", à
cause de ses sympathies droitières, et voyaient en lui un "dinosaure"
réactionnaire, dont l'enseignement distillait l'ennui d'un classicisme
poussiéreux. L'impression reste en tout cas d'une personnalité très
forte, capable de susciter une détestation et une admiration également
passionnées.
Le livre se clôt sur quelques traces écrites, pieusement recueillies,
qu'a laissées le bref passage sur terre de Jean-Marie Girardey : annotations
de devoirs, cours inachevé de dissertation. On se dit, après avoir
tourné la dernière page, que le destin de cet homme exceptionnellement
brillant, qui n'a pas eu le temps de s'accomplir, trouve grâce à
cet ouvrage de mémoire une forme d'achèvement.
Sylvie Huguet
(11/08/11)
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Lectures
Editions L'Harmattan
256 pages - 23,50 €
Vous pouvez visiter
le
blog de Jacques Layani :
Les mots ont un sens
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Le Château d'Utopie
Apostrophes insolites
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