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Léonora MIANO

Contours du jour qui vient


Dans une région imaginaire d’Afrique équatoriale ravagée par les guerres civiles, la misère amène les parents incapables de prendre soin de leurs enfants à s’en débarrasser. Ainsi Musango, nom qui signifie « paix » en langue douala, fillette d’une dizaine d’années à la santé fragile, est, à la mort de son père si tendrement complice, chassée par une mère influençable et en pleine détresse sous le faux prétexte de sorcellerie. Abandonnée à la rue, jetée à la vindicte populaire, elle erre dans Sombé, capitale en proie à la violence et à l’anarchie. Les gens y meurent en pleine rue sans que cela ne choque personne. Là-bas, « les maris battent leur femme, les mères chassent leur fille, les clans se déchirent, les enfants mangent les sauterelles pour tromper la faim ». Contrainte à quémander quelque nourriture quand elle croise un regard bienveillant, elle se heurte le plus souvent à l’égoïsme ambiant et reste affamée, proie désignée pour les vautours qui rôdent dans le pays. L’enfant, petite sœur des enfants soldats démobilisés qui tentent de survivre de rapines, doit apprendre à se défendre.

Son errance sera de courte durée car, vite repérée, elle sera enlevée, séquestrée et utilisée comme bonne par des trafiquants proxénètes qui s’occupent de former des filles pour le marché européen dissimulant leur trafic derrière les activités d'une secte religieuse. Dans ce pays où règne une effrayante misère morale et matérielle, les fausses religions, utilisées à des fins d'assujettissement mercantiles, pullulent, les escrocs prêts à tout pour soutirer l’argent à des adeptes naïfs et désemparés se multiplient et les charlatans de tout acabit font fortune. Mais la « fillette au sang pourri », moins fragile et plus maligne qu’il n’y paraît, ne se laissera pas duper et saura se battre pour conserver sa liberté.

Cette enfant maltraitée, abandonnée, « dépasse la haine... La haine est un enfermement. Bien souvent, quand on pense à tout ce que l'on a souffert, on n'est jamais assez vengé. Il n'y a jamais vraiment de vengeance. Il faut abandonner cette idée. La seule vraie revanche, c'est d'essayer de se construire quand même, de vivre néanmoins » comme l’explique l’auteur dans une interview. La victime ne cessera pendant tout son périple de s’adresser à cette mère indigne « dont l’histoire intime se confond avec celle d'une société inapte à envisager son futur » et de tenter avec obstination de la retrouver pour essayer de comprendre son acte, de lui pardonner et pouvoir naître à nouveau et se trouver elle-même.

Cette histoire n’est donc pas un mélodrame misérabiliste mais le récit du parcours initiatique d’une enfant perdue au milieu d’un pays miné par la violence et la superstition, l’illustration « du courage d’un individu qui vit dans une société difficile et qui décide quand même de se construire et d’avoir une pensée, et cela c’est complètement universel. L'habillage culturel est africain, les questions de société qui sont présentées là sont africaines mais pas toutes, on les trouve ailleurs, mais c'est surtout un roman sur l'individuation, sur comment on devient une personne, sur la manière dont on écoute sa voix intérieure qui vous dit qu'effectivement ce n'est pas parce que l'on est pauvre ou seul que l'on est rien, parce que la valeur d'une vie humaine c'est autre chose. (…) Je voulais vraiment écrire l’histoire de la construction d’une individualité forte dans un environnement où on a peur justement de l’individualité. Donc, je voudrais que chez nous, dans nos sociétés africaines où l’on croit beaucoup au groupe, on permette aussi aux gens d’être libres et de se réaliser en tant qu’individus, en considérant que ce qu’ils vont accomplir est une richesse aussi pour le groupe. (L. M.) »
Ce roman certes sombre, très, distille aussi l’espoir.

Musango, a appris vite à poser sur les choses un regard lucide, perspicace, profond, qui va au-delà des apparences. Elle, humble représentante de tous ceux qui doivent se construire sans références, petit être fragile ridiculement insignifiant, parvient par son courage et son intelligence à affronter les affres de l'Afrique avec ses excès et ses aberrations.

D’autres figures résistantes refusent de se laisser entraîner, endoctriner ou corrompre et s'arment de courage de façon individuelle au risque de leur propre sécurité pour apporter un peu d'humanité autour d’eux et bâtir un autre avenir pour ce pays à la dérive face à la folie dévastatrice de cette société en décomposition.
Au-delà du malheur, il y a l’espérance et « les contours du jour qui vient » car la lumière surgit de la noirceur. Ainsi les épreuves ont fait de Musango un être humain indépendant capable de résister aux superstitions et au fatalisme : « Je crois profondément, mère. Non pas aux joies factices qui tapent des pieds et des mains sous les voûtes des temples ou sous l’éclairage phosphorescent des boîtes de nuit, où selon sa sensibilité, on cherche le même délire. Je crois à l’authentique plaisir de vivre l’alternance de la mélancolie et de la joie et je crois que la misère est une circonstance, non pas une sentence ». A la fin du roman, la rencontre de la fillette avec sa grand-mère au charisme quasi magique, augure lumineux d’une possible réconciliation du passé et de l’avenir, puis la découverte de l’amour sous les traits de Mbalè, petit protégé de la vieille femme, sonnent comme les prémices d’un jour nouveau qui pourrait être heureux. « Il faut se souvenir et puis il faut marcher ».

Même si Musango en est la narratrice le roman n'est pas écrit à hauteur d'enfant. « Elle ne parle pas comme une enfant, parce que c'est un personnage que j'ai investi de l'expérience d'une génération entière d'enfants trop tôt écartés de l'enfance et devant se construire sur une terre qui leur est devenue trop dure. Ce parcours d'acceptation et de pardon qu'elle fait vers sa mère, c'est une manière de dire que cette maman Afrique, puisque en fait la mère incarne une société africaine tellement dévalorisée à ses propres yeux qu'elle ne peut pas aimer ses enfants, donc cette Afrique qui nous a parfois déçus, qui n'a pas toujours su assumer son indépendance, cette Afrique-là restera néanmoins la seule et unique mère. Donc on ne va pas lui cracher dessus, on va essayer de réparer ses erreurs, et de la veiller quand même. Si elle n'a pas pu donner d'exemple, peut-être que le contre-exemple qu'elle a donné a finalement la même valeur. Elle a quand même appris quelque chose au travers de ses erreurs.(L. M.) »

Léonora Miano, camerounaise qui vit en France depuis 1991, nous dépeint de l’intérieur, magistralement, toute la force et la faiblesse de l'Afrique. Avec ses mots, sa musique, elle est capable de nous en transmettre les couleurs, les odeurs, les ambiances, les paysages. En un long monologue, entrecoupé de quelques dialogues, elle rend vivants les sentiments de ses personnages avec une intensité poignante et restitue la dureté des situations avec une intelligence rare. L’écriture de ce second roman conjugue un goût prononcé pour les métaphores poétiques qui transfigurent parfois le récit en un magnifique chant incantatoire et une simplicité efficace.

Un récit ancré dans l’histoire contemporaine. Un appel à la reconquête de l’honneur perdu. « Notre grandeur viendra de ce que nous saurons engendrer des êtres libres. » Une invitation à la population africaine à dépasser les vieux traumatismes, à se dépouiller des habits de la victime pour se conduire en tant qu’individus responsables, à trouver des solutions pour le pays au lieu de sombrer dans la superstition et la haine ou de fuir en Europe. L’esquisse d’un chantier possible pour un avenir meilleur dans cette partie du monde ravagée par la misère et la violence.

Dominique Baillon-Lalande 
(02/03/07)    



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Editions Plon
280 pages, 18 €


www.plon.fr











© Laurent Zabulon

Camerounaise née à Douala, Léonora Miano vit à Paris.
Son premier roman, L'Intérieur de la nuit (Plon, 2005), a reçu de nombreux prix littéraires et a été classé 5e dans la liste des meilleurs livres de l'année par le magazine Lire.
Contours du jour qui vient, son second roman, a reçu le Goncourt des lycéens 2006.













Son premier roman, L'intérieur de la nuit, a été repris chez Pocket.