Lionel MIRISCH

Papiers mâchés




Comment dire des espaces de la vie de tous les jours ? Comment dire l’existence en reliant les rêves, les petits et les grands bonheurs, les inquiétudes de l’être venu au monde sans l’avoir demandé ? C’est ce que réalise Lionel Mirisch dans son ouvrage Papiers mâchés, telle une suite improbable, faite d’humour et de distance. Il nous entraîne dans la vie du narrateur : la sienne, la notre ? Qu’importe, il sait agréablement nous entraîner dans ce monde su et souvent si mal dit, par paresse, par maladresse, par... L’écriture y est musicale dans la structure de la phrase :

Tout est bref pour qui doit partir. Les bagages ? Préparés depuis longtemps. Les rêveries rangées ; suspendues les métamorphoses. Aucune angoisse : juste une petite perplexité, que la hâte minimise encore. Coup d’œil en arrière, n’ai-je rien oublié ? Mon Dieu, tant de choses ! Mais bah… la porte ouverte, brutalement. À l’air libre, soulignant le vide – l’étendue qu’il faudra couvrir –, attendent transparents, lumineux à leur manière, les manifestants sans haine du silence.


Comme on peut le voir, l’écriture sait prendre de tous petits instants et leur donner toute l’ampleur qu’il convient. Cela se lit, se vit au fil de la lecture. Nous avons à faire avec un certain désenchantement du propos mâtiné de poésie dans l’expression : désillusion pour soi, poésie à propos des autres, toujours à hauteur d’homme. Voici un autre extrait :

Le monde fait tant de bruit, parfois. Comme s’il avait peur qu’on l’oublie. Pour affirmer, souligner qu’il existe. Alors barrer la fenêtre n’est pas suffisant. Non plus se calfeutrer, fouir les draps, cacher sa tête sous l’oreiller. Car ce bruit ne se mesure pas en décibels, mais aux battements de notre cœur, au trouble de nos pensées, quel désordre !Impitoyable monde, il sait de longtemps que nous sommes à lui, quoi que nous en ayons ; qu’il demeurera jusqu’au bout notre méchant maître – de ceux auxquels on ne saurait échapper qu’en s’échappant à soi-même, en s’éclipsant un beau jour, une laide nuit, sur ce geste effaré, terrible, à contre-emploi, par quoi les amants quittés déchirent sinistrement la photographie sur laquelle sourit, impardo-nable, l’objet de leur adoration.


Lionel Mirisch vient, avec une écriture qui vibre à la lecture – tant l’éclat de ce qui est dit nous pénètre, nous prend sans nous lâcher –, nous dire cette suite de moments qui pourraient se lire indépendamment, mais qui font une suite musicale intime qui se tient. Nous sommes emportés, captés par l’ironie, la nostalgie, la mélancolie… Mais Lionel Mirisch sait nous mener et nous laisser à notre hauteur : pas de drame, d’emphase… Pas de geste théâtral. Non ! Une douce musique pour nous dire cet être qui, malgré tout, se tient debout au bord du vide et ne tombe pas.

Gilbert Desmée 
(11/02/09)    



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Poésie










Editions Rhubarbe


86 pages - 8 €










Lionel Mirisch
a travaillé dans l'édition et comme critique notamment pour La Quinzaine Littéraire et France Culture. Il a publié plusieurs livres chez Denoël, Robert Laffont et au Soleil Natal. Il compose aussi des chansons et des musiques de spectacles.