Gérard MORDILLAT

Les Vivants et les Morts



Est-ce que les hommes ont progressé depuis leur création ? Ont-ils réussi au début du troisième millénaire à endiguer l’injustice, l’esclavage, la misère ? Le constat est rude.

Le superbe roman Les Vivants et les Morts, au travers de trois personnages principaux, Rudi, Lorquin et Dallas, retrace le démantèlement d’une usine de l’Est de la France rachetée par le Grand Capital. Un propriétaire qui n’a pas de nom réalise des transactions boursières sans aucun contact avec la réalité des ouvriers et des employés. Même les dirigeants de l’entreprise se font manipuler. Seul le profit immédiat est en jeu. Une triste réalité qui broie les humains inutiles. Si l’on pouvait s’en passer pour gagner de l’argent, ce serait tellement plus agréable pour les capitalistes.

Trois personnages sont mis en avant, deux hommes, un jeune, un plus âgé, et une femme, qui tentent de subsister au milieu du carnage. Ils ne sont pas seuls, ils sont des milliers à subir le même sort et le roman de Gérard Mordillat montre bien les espoirs et les découragements, les engrenages terribles, les engagements, les révoltes, les amours malgré tout. Un roman d’une richesse extraordinaire. Un coup de poing sur la table pour dire : regardez ce que fait le monde de l’argent, est-ce vraiment un modèle pour nous, pour nos enfants ? Est-ce vraiment humain d’admettre encore cela ? Ce n’est pas un tract politique mais un roman fort qui s’engage, prend ses responsabilités et dit l’inadmissible.

« En attendant, ce qu’ils veulent, ce sont des esclaves, des ignorants corvéables à merci. […]
– Un, tu n'as rien à toi : ta maison, elle est à la banque ; le jour où ils ferment le robinet, t'es à la rue. Deux, en théorie tu peux aller où bon te semble, en réalité, comme tu n'as pas un sou devant toi, t'es bien obligé de rester là où tu es ! Je ne te demande pas où tu vas en vacances, je connais la réponse : tu restes là, t'es assigné à résidence. Trois, tu travailles pour gagner tout juste ce qui te permet de survivre, rien de plus. Et si tu t'avises de te plaindre, le peu que tu as on te l'enlève pour t'apprendre les bonnes manières. Alors tu la fermes parce que ta baraque, ta femme, tes gosses... Alors d'accord, t'es pas fouetté, t'es pas vendu sur le marché, t'as le droit de vote et le droit d'écrire dans le courrier des lecteurs de La Voix que tu n'es pas d'accord avec ce qui t'arrive, t'as la liberté d'expression ! Quelle liberté ? Tu sais bien que si tu écrivais une lettre pour dire vraiment ce que tu penses et si tu l'envoyais, ce serait comme si tu rédigeais publiquement ta fiche d'inscription à l'ANPE. Crois-moi : si tu veux bien regarder de près, ta vie ne vaut pas un pet de lapin, tu ne comptes pour rien, t'es un «opérateur» de production comme ils disent, quelque chose entre l'animal de trait et la pièce mécanique...
 »

L’écriture fluide, chargée d’un sens à la fois concret et philosophique, très agréable à lire, montre le pouvoir de la littérature qu’il est toujours important de défendre.

Brigitte Aubonnet 
(09/09/06)    



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Lectures









Editions Calmann-Lévy
et Livre de Poche
830 pages


Grand Prix RTL-Lire 2005