L'éditeur regroupe ici pour notre plus grand plaisir six des "histoires
courtes" publiées isolément dans sa collection "petit
format".
Le fil choisi pour les lier est, outre la marque de la collection qui rapproche
littérature et 7éme art , le thème du dit ou du non-dit que
chacun cuisine à sa sauce : comédie, polar, chronique engagée,
drame psychologique, amour romantique ou récit d'une autre époque.
Les auteurs : David Foenkinos, Mercedes Deambrosis, Christophe Ferré, Sophie
Adriansen, Nicolas d'Estienne d'Orves et Yasmina Khadra.
Bien sûr des affinités, des complicités, se tissent avec celui
qui, dans le recueil se promène. Pour ma part, en dehors du texte de Mercedes
Deambrosis (De naissance) déjà présenté à
sa sortie sur ce site, les nouvelles de David Foenkinos et Christophe Ferré
ont emporté mes préférences.
David Foenkinos, Bernard
Bernard, quinquagénaire depuis peu, est retourné vivre chez ses
parents. Un retour à l'adolescence dans une chambre conservée
en l'état, avec son père scotché sur le divan devant la
télévision, sa mère toujours inquiète
Assis
au milieu de ses peluches, sa vieille guitare en main, il se demande comment
il a pu en arriver là. Il y a un mois à peine, il menait une vie
confortable auprès de Nathalie, psychanalyste séduisante et aimée,
dans un bel appartement, était fier de sa fille de vingt ans et jouait
les traders à succès dans la finance. Comment le besoin de nouveauté,
une aventure avec une jeunesse, quelques minutes de plaisir avec une maitresse
possessive qui révèle à son patron ses magouilles et à
son épouse son adultère lorsqu'il décide de la quitter,
ont-ils pu tout faire basculer ? La vie d'un homme en pleine maturité
s'arrête-t-elle avec la perte de son emploi et l'abandon de sa femme au
moment où sa fille prend son indépendance ? Que Nenni ! Le repas
cauchemar organisé par des parents apparemment plus verts qu'il n'y paraît,
le pétage de plombs en direct qui lui fait vider son sac et claquer la
porte sans ménagement, lui permettent de se rendre compte qu'il est vivant
et qu'avec l'âge, il sait aujourd'hui ce qu'il ne veut plus à défaut
de savoir ce qu'il désire vraiment. Des confidences partagées
anonymement sur Facebook qui lui permettent de renouer avec sa fille, l'engouement
pour les clous, vis et quincaillerie en tout genre et leur improbable gardienne,
feront le reste... Une satire faussement légère de cette société
et des lâchetés dans laquelle nous nous empêtrons, pleine
d'humour et de cocasserie. Excellent !
Christophe Ferré, La photographe
New-York, 10 septembre 2001. Une photographe professionnelle et son jeune modèle,
ici nommé "le Latino", passent leur première nuit ensemble.
Une fusion passionnelle. Depuis le jour où elle l'a aperçu, l'hiver
dernier à Battery Park, elle le savait, l'attendait. Quand au matin il
se lève pour se rendre au restaurant panoramique de la tour où
il vient d'être embauché, elle cherche à le retenir. Ne
plus jamais le voir s'éloigner, le garder tout près d'elle. Quand
un peu plus tard elle entend l'explosion, elle accourt. Frappée d'incompréhension,
de stupeur et d'effroi, avec son téléobjectif qui ne la quitte
jamais, elle mitraille les tours à sa recherche... "Elle photographie
le building, les flammes de l'enfer. Elle tremble. Elle pleure". Ils
parviennent à se parler au téléphone, partagent des mots
d'amours, taisent la peur, se raccrochent au mince espoir que représente
l'interminable escalier... Un texte nerveux d'une intensité surprenante
qui parvient à échapper aux clichés sentimentaux en donnant
progressivement à ses personnages une dimension mythique universelle
et tragique. Surprenant.
Mais cela signifie nullement que le vieux couple victime d'une erreur médicale
lourde de conséquences de nature bien différente que celles promises
ne m'ait pas émue avant que le drame ne tourne à la farce (Santé
de Sophie Adriansen) ou que le polar gastronomique endiablé de Nicolas
d'Estienne d'Orves (Coup de fourchette) avec ses grands chefs aux 54
étoiles à eux trois, Boujut, Duchon et Robicasse et son célèbre
critique culinaire qui a fait leur gloire, dans la précision du milieu
passé à la moulinette et les épices lexicales employées
ne soit pas parvenu à m'aiguiser l'appétit, à me rouler
dans la farine de façon jubilatoire et à laisser en bouche un
parfum fort réjouissant.
Rien à voir avec le récit tragique de Yasmina Khadra (La longue
nuit d'un repenti) qui, sur fond de guerre avec son lot de traumatisme,
nous immerge dans la nuit la plus sombre. Dans la tête d'Abou Seif, revenu
près de sa femme, l'écho des armes, les cris, le sang, prennent
toute la place. En quelques pages, brutales et fortes, jouant avec le bien et
le mal, la peur et la haine, c'est en enfer que l'auteur nous invite ici.
La variété de l'ensemble est fort plaisante et chacun peut se
saisir de ces histoires courtes et souvent surprenantes dans l'ordre et au rythme
qui lui conviennent. Chacune se suffit à elle-même mais les déguster
successivement leur confère peut-être un relief supplémentaire.
A vous de choisir, mais soyez-en certains, derrière chacune de ces nouvelles
résonne la voix d'un auteur qui mérite lecture.
Dominique Baillon-Lalande
(15/06/11)