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Joyce Carol OATES


Mère disparue


Mère disparue paraît en France en 2007.
L'œuvre abondante de Joyce Carol Oates est l'une des plus marquantes de la littérature américaine contemporaine. Comme pour chacun de ses livres sa plume est fluide, captivante sans tabous, ni souci du politiquement correct. Mais, cette fois-ci, elle nous surprend par une fragilité et une sensibilité qu'on lui connaissait moins.


L'histoire débute par la célébration d'une Fête des mères au 43, Deer Creek Drive à Mount Ephraïm, une petite ville de l'état de New-York. Gwen Eaton, veuve, invite à cette occasion ses deux filles Nikki et Clare, ainsi qu'un patchwork de convives cocasses et truculents emblématiques de la classe américaine moyenne.
Deux jours plus tard, Nikki retrouve sa mère assassinée.
Le tueur Ward W.Lynch, un prisonnier en libération conditionnelle, est rapidement identifié et arrêté.
Avec ce drame inattendu, commence la véritable histoire.

Après les funérailles de Gwen Eaton, ses filles procèdent au tri des objets parentaux.
Clare, ancienne institutrice autoritaire, colle des post-it dans toute la maison. Elle est aidée par Nikki, sa sœur cadette, journaliste au Chautauqua Valley Beacon et sentimentalement instable.
Ce faisant, les souvenirs remontent. C'est une valse d'émotions. Des petits secrets apparaissent un à un et le processus du deuil s'avère tumultueux.
Car qui était au fond cette mère si bonne et si indépassable, surnommée Plume, que tout le monde vénérait à Mount Ephraïm pour ses actions caritatives ? Et comment faire, quand on a reçu autant de dons que Nikki, pour s'acquitter d'une dette aussi monumentale ?
Clare découvre que les calendriers de Gwen Eaton sont surchargés de croix noires et d'abréviations énigmatiques.
Au fil des pages, on s'immerge au 43, Deer Creek Drive, à l'intérieur d'une atmosphère mystérieuse et étrangement dérangeante.

Joyce Carol Oates excelle à croquer ses personnages. Avec trois ou quatre bouts de phrases (cela paraît si simple) on a déjà les images. Et puis, chroniqueuse sociale, elle passe en revue les éléments de ces vies banlieusardes en des maisons si accueillantes et si confortables. Ces vies fragiles, nourries de mille et une occupations trompeuses et bienfaisantes. Hélas ! Il y a le temps. Les années s'écoulent. Les décades. Les fissures apparaissent, les failles, et puis la mort.
Revêtue de la peau de chagrin de Nikki, l'écrivaine hurle un cri d'amour et de douleur face à la perte de sa propre mère, Carolina Oates, en 2003.
Cet énième roman de Joyce Carol Oates ressemble à un livre de deuil : "Je raconte ici comment ma mère me manque."

Patrick Ottaviani 
(27/04/10)    


Extrait du roman :

J'étais dans l'allée et je grelottais. J'avais conscience du garage, de sa porte ouverte, dans mon dos. Le ciel s'était assombri, le soleil ressemblait à présent à un jaune d'œuf sanguinolent. Le genre de ciel crépusculaire, lumineux et brouillé, dans la contemplation duquel on peut se perdre en toutes circonstances.
Je me demandais si je devais déplacer ma voiture. Des véhicules d'urgence allaient arriver, elle risquait de gêner le passage. Je regardai par la vitre et vis mon portable sur le siège. Je le récupérai et composai le numéro de Clare. Si maladroitement que je me trompai et dus recommencer. Dans le même temps, je pensais à maman, étendue sur le sol de béton du garage, là où elle était tombée.
Il était difficile de ne pas se dire : tout va s'arranger. J'ai appelé une ambulance, on va emmener maman à l'hôpital et on la soignera. C'était ce qu'une partie de mon esprit me poussait à croire, et je faiblissais mais refusais de céder.
Comme si elle attendait mon appel avec impatience, Clare décrocha sur-le-champ, aussi vite que l'opératrice du 911. Avant même que je sois prête à lui parler. J'avais espéré avoir plus de temps. J'avais espéré tomber sur son répondeur. Je dis : "Clare. Je suis à la maison. Maman a été blessée. - Blessée ! s'écria Clare. Oh ! mon Dieu, je savais ! Que…" Je n'arrivais pas à parler, j'avais la bouche sèche. Une voiture de police s'engagea à toute allure dans Deer Creek Drive. Une autre la suivait de près. Elles freinèrent brutalement devant notre maison, s'arrêtèrent de façon à barrer la rue. Je fus distraite par leurs manœuvres, l'adresse avec laquelle elles étaient exécutées….
Clare avait un ton brusque et effrayé. Je tâchai d'expliquer : maman était blessée. Maman était gravement blessée. Je ne pouvais pas prononcer le mot
morte ni, en parlant à Clare, le mot meurtre. Je ne voulais pas m'effondrer ! Il était de mon devoir de ne pas m'effondrer maintenant que j'avais appelé la police.



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Lectures










Éditions Philippe Rey

496 pages - 22,80 €

Traduit de l'anglais
(États-Unis)
par Claude Seban




Points Seuil,
2008
514 pages - 8 €











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