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Une ONG parvient à introduire dans la geôle des otages un micro pour qu'à des kilomètres de là, un antiterroriste puisse récupérer des renseignements. L'initiative s'avère vite infructueuse car le jeune homme ne parvient à voler ainsi que les paroles des seuls otages que, faute d'en posséder la langue, il ne comprend pas. Il capte ainsi consciencieusement huit récits, de longs monologues dits par une voix différente chaque soir. En effet, pour conjurer leurs peurs, les otages ont décidé chacun d'écrire un épisode marquant de leur vie pour le restituer ensuite à tous à voix haute. Les négociations secrètes semblent dans une impasse et les autorités
finiront par intervenir en force. Les ravisseurs résistent puis en désespoir
de cause font tout sauter plutôt que de se rendre. Il n'y aura aucun survivant.
Dans les décombres de l'incendie, des bribes de textes gravés sur des bouts de bois à demi brûlés sont retrouvées. Hélas ceux-ci, trop fragmentaires pour prendre sens, n'apportent aucun éclairage sur l'affaire. Il faudra attendre un peu pour que les enregistrements sonores issus de ces écoutes soient retrouvés et diffusés à la radio, faisant ressurgir à la surface les récits personnels des otages. De leur condition de détention ou de leurs espoirs ou découragements, nous ne saurons rien. En une ultime conjuration de leurs peurs face à l'issue tragique qu'ils pressentent, ils ont décidé de dédier ce temps de parole partagé à l'évocation d'un moment marquant, singulier, de leur vie passée. Une femme se souvient de l'ouvrier obèse bloqué sur une balançoire
par une cheville cassée auquel, fillette, elle tenta d'apporter secours
; Une retraitée évoque la vieille femme acariâtre qui lui
servait de logeuse quand la jeune femme était stagiaire dans une biscuiterie
et leur étrange relation ; Un écrivain de 42 ans raconte sa découverte
de la "salle des propos informels" et des réunions publiques
qui s'y tenaient, à l'origine de sa vocation ; Un grand spécialiste
d'ophtalmologie retrouve au fond de lui l'image de ce semi-mendiant fabricant
de peluches plus étranges les unes que les autres qui l'a fasciné
au point que le collégien qu'il était, accepta de le porter sur
ses frêles épaules ; Un directeur d'usine de 49 ans évoque
l'impérissable parfum que lui a laissé, enfant, la préparation
d'un consommé par la fille d'à côté ; Un employé
sans histoires se replonge dans la seule incartade qu'il ait jamais faite dans
sa vie : passer une après-midi au stade sous le charme d'un lanceur de
javelot alors qu'il aurait du être à son bureau ; Une femme au
foyer sans enfant est régulièrement confrontée à
l'image de grands-mères mortes auxquelles elle est censée ressembler
; Le jeune guide de 28 ans se revoit, lui, quelques années plus tôt
encombré d'un superbe bouquet offert par un client travaillant aux pompes
funèbres, qu'il n'osa jeter
On se trouve ici face à un récit hybride entre recueil de nouvelles et roman par nouvelles à la manière de Jean-Noël Blanc. Chaque récit peut se lire de façon autonome et ils n'ont entre eux d'autre lien que le contexte narratif énoncé dès l'introduction (soirées lecture des séquestrés dans leur geôle) doublé d'une certaine tonalité commune. Mais c'est justement cette résonance, cet esprit partagé toutes ces histoires semblent flotter entre deux mondes aux frontières de l'univers du rationnel, constituent un hommage à la solidarité et à la mémoire, dégagent sous leur apparence anecdotique un parfum d'essentiel qui peut permettre de considérer chacune comme la pièce d'un grand puzzle qui illustrerait la société japonaise contemporaine, avec ses conventions, son mystère et ses non-dits. Par l'artifice du "post-mortem" chaque souvenir personnel, choisi avec soin par les otages dans la situation d'urgence qui était la leur au seuil de la mort, prend des allures de message testamentaire. L'effet tragique ainsi produit est, de plus, amplifié par le décalage profond qui se dessine entre le caractère à première vue banal des situations évoquées et le contexte qui les réactive. La simplicité n'est qu'en surface, l'étrangeté vient infiltrer le quotidien, on devine les précipices masqués et la fragilité des personnages derrière la normalité et la tranquillité apparente, et chaque histoire, sous une forme ou une autre, présente un lien caché avec la mort. L'écriture de Yôko Ogawa, sobre et précise, insuffle aux
récits une intensité presque mystique et leur confère une
force émotionnelle incontestable. Un livre original et troublant. Dominique Baillon-Lalande (08/05/12) |
Sommaire Lectures Actes Sud (Mars 2012) 192 pages - 20,30 € Babel (Mai 2021) 192 pages - 6,80 € Traduit du japonais par Martin VERGNE
Visiter un blog consacré à Yôko Ogawa où les 23 livres sont présentés : http://yokoogawa. blogspot.fr/ |
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