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Audur Ava ÓLAFSDÓTTIR
Rosa candida
"Il faut poursuivre ses rêves."
Il est des livres comme des fleurs rencontrées sur les sentiers de montagne,
on les garde pour toujours entre deux pages de carnet intime. Rosa candida
est une petite rose simple mais ses huit pétales en font une fleur rare
et remarquable dont le parfum entre en douce dans l'anthologie secrète
de nos livres chéris.
Le charme opère dès la couverture, attendrissante comme un retour
sur un passé heureux. Les cercles "psychédéliques",
motif tournoyant des papiers peints et des tissus des années soixante,
ramènent à la surface les idéaux de nos adolescences puis,
le nom de l'auteur, difficile à déchiffrer, le Z de la maison
d'édition comme la signature d'un justicier masqué, évoquent
l'enfance. Les ronds se brouillent : on entre dans le récit d'Arnljotur
Thorir, pèlerin moderne, nouveau Candide, héros d'un conte de
fée à l'envers.
Un jeune homme quitte son pays, un champ de lave où "on ne peut
pas cultiver grand-chose" pour remettre en état une ancienne roseraie,
quelque part sur le vieux continent. Sa mère vient de mourir mais elle
a transmis, à son fils, dans la serre jouxtant leur maison, sa passion
pour le jardinage. "Et à la fin, tout se mit à pousser
dans le jardin de maman, tout croissait entre ses mains. Petit à petit,
le lopin de terre se transforma en jardin enchanté
" Arnljotur
quitte donc son vieux père, son frère jumeau autiste et s'envole
vers une nouvelle vie, n'emportant que trois plants d'une espèce de rose
"probablement le seul spécimen au monde." Il dit aussi
au revoir à Anna, la mère de sa fille de sept mois, fruit d'une
rencontre-éclair dans la fameuse serre. "La demoiselle, comme
tu dis, et moi, on n'est pas un couple et on ne l'a jamais été,
même si on a un enfant ensemble. Ça a été un accident."
A peine arrive-t-il sur le continent qu'il s'évanouit et se retrouve
à l'hôpital. Dorloté par des mains féminines et charitables,
remis sur pied, il achète une voiture et fait "la route jusqu'au
jardin, dans le sud, en quelques jours."
Là, il s'installe au monastère où il a été
embauché comme jardinier. Frère Thomas, Pangloss moderne qui enseigne
que "la beauté est dans l'âme de celui qui regarde",
répond à ses interrogations sur la vie, la mort et "le corps"
par des séances de projections de films du monde entier. Anna débarque
dans cette vie monacale pour lui demander de garder leur fille, Flora Sol, le
temps qu'elle finisse son mémoire en génétique. (sic !)
Et c'est merveilleux de tendresse, de drôlerie, de naïveté
et de rouerie ! Le narrateur, en détricotant son histoire d'amour à
l'envers, commencer par faire un enfant pour finir par tomber amoureux de la
mère, va être tour à tour une sorte de Candide du vingt
et unième siècle, un petit Poucet psychanalysé par la forêt
et tout à la fois le Fils, le Père et le Saint Esprit de son enfant
!
Sa façon légère et grave de nous raconter ses aventures
rappelle les grands romans initiatiques du dix-huitième siècle
et la fraîcheur des contes de notre enfance. La magie du récit
tient aussi de cette lumière surnaturelle dont il est baigné.
D'innombrables allusions bibliques, directes comme celle de l'exergue du livre
ou du symbole de la rose, ou plus diffuses comme par exemple quand Arnljotur
se penche sur le chemin qu'il va accomplir et nous indique que "l'endroit
n'est pas marqué sur la carte, mais il me semble que la route du pèlerinage
prend fin non loin de là." nimbent le récit d'un halo mystique,
voire d'une auréole comme la lumière que dégage la mère
du narrateur puis sa fille Flora Sol. "Il y avait de la lumière
dans les cheveux de maman, comme dans ceux de l'enfant, comme si on les avait
saupoudrés de paillettes scintillantes, et il y avait de la lumière
dans son sourire."
Le Narrateur, chassé du paradis, la serre maternelle, après avoir
commis le péché de chair ou avoir joué le rôle de
l'ange Gabriel "il m'a semblé pourtant voir brièvement
une lueur dans la nuit
une clarté aveuglante
je me suis rappelé
cette histoire de courant d'air
quelque chose qui n'aurait pas été
tout à fait normal" va devoir cultiver son jardin ou replanter
la rose pour retrouver la mère ! (les deux mères portent le même
prénom, Anna ; Sainte Anne est dans la tradition chrétienne, la
mère de la Vierge !) Mais pour cela il devra d'abord mourir et ressusciter
"avoir vécu en l'espace de trois jours la mort et la résurrection
Il ne me semble être rien d'autre que ce nouveau corps avec sa coupure"
puis se perdre dans la forêt "en suivant l'ancienne voie des pèlerinages
qui traverse trois frontières
méandre après méandre,
je traverse la forêt, des arbres des deux côtés
Les
forêts peuvent être dangereuses aussi
Je me retrouve en pleine
forêt, littéralement encerclé de toutes parts par les arbres,
sans la moindre idée de l'endroit où je me suis fourré."
Enfin sorti de chez "l'ogre", "Les murs sont ornés
de peaux de bêtes et de têtes de cerfs empaillées, ainsi
que d'une collection de fusils. Je suis apparemment le seul client."
il va pouvoir par le truchement de questions que lui pose sa compagne de voyage,
nous "confesser" toute son histoire avant d'atteindre le jardin "promis".
On jubile, en tant que lecteur, à tirer les fils de ces références
littéraires ou bibliques telles des fleurs brodées dans la tapisserie
du quotidien du narrateur : Le Merveilleux Jardin des Roses Célestes.
On jubile aussi en essayant de reconstituer le voyage du héros. Plein
d'indices nous sont jetés en pâture mais jamais assez précis
pour matérialiser sur une carte le long voyage de Lobbi (le surnom que
lui donne son père) puisqu'on est dans le conte ou la parabole. Tout
en sachant cela, dans une lecture moins "illuminée" on ne peut
s'empêcher d'essayer de localiser le héros. Il quitte son pays
(l'Islande) parce que sa mère n'y est plus et qu'il faut sauver la graine,
l'étincelle, le germe de vie, la rose pourpre à huit pétales,
le Merveilleux Jardin. Il survole la mer, atterrit au Danemark où il
est opéré de l'appendicite. Puis il loue une vieille Opel et en
suivant une ancienne route de pèlerinage traverse une immense forêt
puis trois frontières, une évidence pour moi : l'Allemagne, la
Suisse, l'Italie. Le petit village où s'installe Lobbi se situe forcément
en Toscane ou en Ombrie, enfin dans un endroit paradisiaque comme ça.
Mais en fait, ça n'a aucune importance, puisque ce nouveau messie vient
nous enseigner ce que nous savons mais que nous oublions sans cesse, que nous
sommes mortels mais que nous pouvons "ensemencer", cultiver notre
jardin ; qu'il faut se laisser déraciner pour mieux renaître, qu'il
faut mourir pour donner la vie ; se mettre en apesanteur, à l'abri du
temps, dans une parfaite innocence, pour retrouver le Jardin, l'Eden, le Paradis.
Notre félicité de disciple est entretenue par mille petits détails
savoureux et surtout par l'extrême délicatesse des sentiments qui
animent les personnages, un mélange subtil d'innocence, de tendresse,
de maladresse, et surtout d'amour. Et l'on se surprend à sourire, comme
les séraphins du plafond peint de la chambre, en découvrant ce
jeune père en extase devant sa "divine" fille qui ressemble
tant à l'enfant Jésus du retable ! Ou, tout simplement, on tombe,
comme lui, à genoux devant la beauté d'une rose.
Sylvie Lansade
(07/05/12)
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Lectures
Editions Zulma
(Août 2010)
336 pages - 20,30 €
Traduit de l'islandais
par
Catherine Eyjólfsson
Audur Ava Ólafsdóttir,
née en 1958 à Reykjavík, a fait des études d'histoire
de l'art à Paris. Elle est maintenant directrice du Musée de l'Université
d'Islande. Un deuxième roman, L'embellie, est annoncé pour
la rentrée 2012 chez Zulma.
Rosa candida
a été repris
chez Points-Seuil
en février 2012.
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