Arto PAASILINNA

Le Bestial Serviteur du pasteur Huuskonen


Comme celui du Lièvre de Vatanen, le héros du nouveau roman d’Arto Paasilinaa est amené, grâce à la rencontre d’un animal improbable, à rompre avec une vie étriquée qui ne le satisfait plus. Pasteur dans un bourg rural de Finlande, Oskar Huuskonen n’est plus très sûr de sa foi. Affligé de surcroît d’une épouse acariâtre et en délicatesse avec sa hiérarchie, il se voit offrir par ses paroissiens, pour son cinquantième anniversaire, un ourson orphelin qu’il baptise Belzéb, diminutif de Belzébuth. Le pasteur s’attache à l’animal, au grand dam de la pastoresse, l’emmène partout et se fait exclure de la chambre conjugale parce qu’il le couche dans son lit. A l’approche de l’hiver, il lui construit une tanière pour qu’il puisse hiberner en paix, et comme il prévoit d’avoir à lui tenir compagnie un certain temps pour l’aider à s’endormir, il fait équiper les lieux de la lumière électrique, d’un téléphone, d’une radio, d’une glacière, d’un four à micro-ondes et d’un climatiseur. Une séduisante éthologiste désireuse d’étudier la biologie de l’ours profite de l’aubaine et s’y installe, avec ordinateur et instruments de mesure divers. Il n’en faut pas plus pour qu’Oskar, saisi par le démon de midi, déserte le domicile conjugal. C’en est trop pour la pastoresse et pour l’évêque : la première demande et obtient le divorce, le second met Oskar en congé. Le printemps revenu, et l’éthologiste repartie pour son université, l’ancien pasteur entreprend avec son ours un périple qui les mènera jusqu’en Israël, en passant par la Russie et Istanbul.

On laissera au lecteur le plaisir de découvrir lui-même les péripéties que traverseront les deux héros. Le pouvoir de séduction du livre tient en grande partie à la désinvolture avec laquelle l’auteur, dans un cadre réaliste, bouscule toutes les règles de la vraisemblance, ce qui confère au récit la légèreté, la fantaisie, l’humour, voire la poésie loufoque qui caractérisent tous ses romans. Oskar fait voyager son ours en taxi, en train, et va jusqu’à lui louer une cabine sur un paquebot. Il lui enseigne à se servir des toilettes et à se brosser les dents, le shampouine comme un chien de manchon et lui vaporise du déodorant sous les aisselles. Mais l’éducation de Belzéb ne se limite pas à la propreté : il apprend aussi à danser et à remplir les fonctions d’un parfait valet de chambre, capable de repasser une chemise, de ranger une armoire, de remplir une valise, de faire un lit et de préparer des cocktails. Il occupe d’ailleurs le poste de barman sur le bateau et y touche même un salaire. Le plus réjouissant demeure cependant son éducation religieuse, son maître lui enseignant tous les gestes de la piété : « L’ours savait déjà faire avec dextérité des signes de croix et joindre les pattes, s’agenouiller, lever le museau vers les cieux, prendre une mine pieuse et avoir l’air de prier. (… ) Il tenait avec aisance une Bible entre ses pattes et la feuilletait comme s’il avait su lire l’Evangile. (…) Il (…) se prosternait le museau tourné vers la Mecque et geignait comme un parfait muezzin. » Pareils talents permettent au pasteur de donner avec Belzéb des spectacles de « cabaret religieux » très appréciés des croisiéristes. Bientôt la réputation de « l’ours dévot » les précède, et le récit prend l’aspect d’une épopée burlesque, une foule considérable se pressant à chaque escale, contre espèces sonnantes et trébuchantes, pour assister au show.

Cette fantaisie burlesque n’est pas entièrement gratuite : elle révèle un anarchisme souriant. Oskar et son ours sont des ferments de désordre : à Odessa, ils provoquent une échauffourée parce que le pasteur s’est mis en tête d’évangéliser les bas-fonds. Surtout, la « dévotion » de l’ours apparaît comme une parodie d’une dérision féroce, voire blasphématoire. Les fanatiques ne s’y trompent pas : « Il se trouva à Haïfa un excité pour accuser le pasteur Huuskonen de blasphème et exiger son expulsion de l’Etat d’Israël. A ses yeux, il était inadmissible de manifester des sentiments religieux sous une forme animale, par l’intermédiaire d’une bête sauvage. (…) A l’appui de ses attaques l’homme lut des extraits de déclarations de Huuskonen à la presse, qui étaient à vrai dire du genre fracassant. Le pasteur s’était apparemment vanté devant un journaliste de ce que son ours domestique était la réincarnation de Jésus. » Le fanatisme religieux est d’ailleurs la grande cible du livre. On y voit ainsi le pasteur et son compagnon assister à un congrès œcuménique dont les membres s’entredéchirent avec une telle violence que l’ours doit jouer des griffes pour les calmer.

Peut-être l’humour est-il un mode de défense contre un monde dont l’état n’incline guère à l’optimisme : si l’on en croit le roman, la vie en Finlande est passablement morose, le suicide et l’alcoolisme y sont fréquents. Quant à la planète, elle est menacée par de nouvelles guerres de religion tandis que des armateurs peu scrupuleux embarquent des croisiéristes sur des bateaux vétustes navigant sous pavillon de complaisance, qui menacent sans cesse de sombrer. La nature, elle, semble offrir là où elle existe encore un asile de paix et d’harmonie : à la fin du livre, Oskar, son ours et sa compagne s’installent en Laponie, sur une des dernières terres vierges, au cœur d’un superbe paysage : « Le chalet en rondins de Kälmi se trouvait sur le versant sud-ouest du mont, à un endroit magnifique entouré de vastes horizons, un peu au- dessous de la limite des arbres, en bordure d’un pierrier de granit moussu (…) Les premières gelées avaient illuminé le raisin d’ours et les bouleaux nains de tons de rouge, de bleu et de jaune, si vifs qu’on en éprouvait un étrange sentiment de gaspillage : ce trésor de couleurs était trop beau pour être ainsi dépensé. » Pareille beauté est peut-être, au même titre qu’un roman comme celui-là, une raison de ne pas désespérer.

Sylvie Huguet 
(24/06/07)    



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Lectures








Editions Denoël
Collection & d'ailleurs

324 pages - 20 €

Traduit du finnois par
Anne Colin du Terrail





Arto Paasilinna, né en Laponie finlandaise en 1942, a été bûcheron, ouvrier agricole,
journaliste et poète.
Il est l'auteur d'une trentaine de livres, pour la plupart traduits en français et publiés chez Denoël.
Plusieurs d'entre eux
ont été repris dans
la collection Folio




Le lièvre de Vatanen
a été adapté au cinéma
par Marc Rivière
avec Christophe Lambert

Pour voir la fiche
du film :
www.allocine.fr




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