Eric PESSAN

L'écorce et la chair



L’errance d’une femme nous conduit en Italie qu’elle parcourt dans sa voiture avec une petite fille sur le siège arrière. Très rapidement, on comprend que ce n’est pas sa fille. L’a-t-elle enlevée, l’a-t-elle trouvée ? La fillette est mutique. Elle écoute. Peu à peu, nous découvrons le passé de la conductrice qui roule au hasard des routes : « Sans carte ni repère, la femme craint de se perdre. Elle redescend vers la plaine, rejoint la sécurité de l’autoroute. Il commence à faire chaud, la femme a soif. Pour l’enfant, elle ne sait pas. La femme sait si peu s’occuper d’une enfant. »

Elle est peintre et nous livre ses réflexions sur l’art : « Et, sous la peinture, sous toutes les couches successives de l’huile, avoir le courage de peindre ce que cache la physionomie, de peindre le drame soigneusement dissimulé, la douleur non avouée, le lourd secret que ne devrait jamais posséder aucun enfant, jamais, nulle part. »

Elle a été humiliée par des critiques d’art et elle raconte à la fillette les humiliations qu’elle a aussi subies pendant son enfance. Elle était une enfant non désirée et le silence régnait dans sa famille. Son enfance a été très douloureuse.

L’écriture est toute en délicatesse, en sous-entendus, en ambiguïtés. Elle engendre un certain trouble et questionne sur le rapport de chacun avec sa propre enfance. Est-on double, enfant et adulte, ou une personne unique ? Comprenons-nous en notre for intérieur plusieurs individus qui se confrontent ? La conductrice se raconte, analyse ce qu’elle a vécu, elle se demande comment elle va pouvoir s’organiser avec cette fillette qui reste énigmatique. S’imagine-t-elle la petite fille qu’elle a été et se parle-t-elle à elle-même tout au long de son périple ? Le texte est partagé en fragments plus ou moins longs et numérotés comme un compte à rebours avec des allers et retours dans le temps.

La très belle écriture d’Eric Pessan pousse à l’introspection. Les dessins de Patricia Cartereau se diluent dans l’eau et dans le flou comme les différents moments de notre vie se diluent en nous. De la douceur dans les traits qui peuvent cacher de la violence. L’émotion est forte en lisant le texte et en regardant les dessins. Une grande réussite.

Brigitte Aubonnet 
(13/10/08)   



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Ed. du Chemin de Fer
70 pages - 14 €

www.chemindefer.org

Illustrations
de Patricia Cartereau