Emmanuel PONS

Je viens de tuer ma femme


Emmanuel vit dans un petit village normand. Exaspéré par onze ans de vie commune, de critiques et de bavardages incessants, il tue sa femme.
« On a commencé notre relation rouges d’émotion, nous l’avons prolongée rouges de désir, nous l’avons terminée rouges de colère. » « On aurait dû se tromper, elle et moi. Ou plutôt se prévenir qu’on allait se tromper. Ça nous aurait énervés, mais on aurait sans doute essayé de se plaire. Comme avant. Avant le pantalon de jogging à la maison, avant la porte ouverte pendant la selle, avant les poils et les odeurs. Je hais le couple ! »
La seule chose qui lui pèse c’est d’avoir à écrire et envoyer les faire-part avant de se rendre à la gendarmerie.

Sur le chemin de la maison de la presse où il se rend pour acheter les timbres pour ses envois, lui prend l’envie de narrer son forfait à un voisin. Livrer le scoop dont il est le héros avant que les journaux locaux s’en régalent. Fier de son courage, il lui siérait assez de confier son exploit pour se faire admirer et craindre.
« J’ai tué ma femme. Ça sonne tellement roman noir ou mauvais film. C’est si commun dans les fictions. Alors qu’en vrai, c’est fort, c’est puissant. Je ne peux même pas exprimer ce que je ressens. Ça va au-delà des mots, de la joie ; ça n’a pas de sens. C’est inouï : Je l’ai fait. Moi, moi ! »

Le gentil retraité du moulin fera l’affaire. Mais rien ne se passe comme prévu. Confronté à l’incrédulité de son interlocuteur Emmanuel s’énerve, perd le contrôle de lui-même et trucide l’homme et son épouse, témoin horrifiée du drame. Au moins, eux, n’auront pas à se préoccuper des faire-part.

Rentré chez lui, dans l’attente de trouver le moyen de se débarrasser du corps, il installe sa Sylvie dans le congélateur de la cave et se met tranquillement à lui faire la conversation pendant des heures, confortablement installé sur une chaise.
« On peut discuter calmement, Sylvie. Tu la ramènes moins, maintenant. Qui c’est qui l’a eu, cette fois le dernier mot, hein ? C’est ton Bibi. Et qui va me foutre la paix ? C’est ma Sisi. (…) Je peux commencer par le dessert, mettre plein de beurre pour cuire la viande, enfumer la maison de saumon grillé… qu’est-ce que tu vas faire ? Rien. T’es finie ma grande. Terminée. T’es juste bonne à filer aux vers. Et encore tu serais fichue de les emmerder »

L’auteur nous embarque pour sept jours en compagnie d’un tueur en série peu ordinaire enchaînant les événements avec une froideur et une logique implacables et macabres.
Passant des carnages sanglants, jamais prémédités mais dus aux circonstances et aux pulsions sauvages qui l’habitent sur le moment, aux conversations complices avec l’ex-être-aimé enfin à sa merci, l’homme ivre de pouvoir et de liberté, surjoue sa vie dans un monde parallèle.
« Rien n’est possible depuis une semaine et tout est réel ».
« Je pourrais te représenter dans ton congélateur, porte ouverte ; Ce serait original ; ou mieux, proposer à ma galerie l’exposition conceptuelle de ce congélateur scellé, avec l’étiquette FEMME D’ARTISTE. Manzoni avait bien exposé des boîtes de conserve étiquetées MERDE D’ARTISTE dans les années soixante ».

Mais très, trop, vite sa nouvelle liberté l’encombre et la solitude lui pèse. Son épouse, celle qui l’avait ébloui de bonheur quelques années auparavant, celle qui s’occupait de lui et qu’on lui enviait, celle-là même, avec tous ses défauts qui, à l’usure, l’agaçait tant et lui pourrissait la vie, lui manque.
« Je te détestais il y a quelques jours, mais c’est passé bien vite. Il a suffi que je ne t’entende plus me houspiller sans arrêt et te plaindre sans cesse. Là, tu es celle que j’ai toujours aimée. Je te regarde et je me revois jeune, amoureux. Je me souviens de cette sensation de boule chaude dans l’estomac quand je pensais à toi. Tu étais la princesse de tous mes fantasmes. »

L’homme est complètement déjanté mais ses sentiments, pour primaires qu’ils soient, sont parfois si proches des nôtres que ses propos pourraient trouver en nous, un écho si nous n’y prenions pas garde. D’ailleurs, le petit village paisible qui sert de décor à ce délire est à l’unisson. Il regorge d’habitants d’apparence tranquille qui, à y regarder de plus près, n’ont rien dans la déraison ou l’horreur à envier à notre fou.
Et si cette histoire délirante d’un être hors norme, étranger au monde, cachait, derrière sa drôlerie, une leçon de vie et de tendresse ?
Une histoire d’amour bien surprenante. Un premier roman déroutant, noir, drôle, féroce, plein d’humour.

Dominique Baillon-Lalande 
(02/10/06)    



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