Retour à l'accueil du site






Marie-Sabine ROGER

Vivement l'avenir



Alex, jeune routarde énigmatique au look d'adolescent androgyne, parcourt la France et le monde de petit boulot en petit boulot. « La terre est grande et la vie est courte. » Elle se retrouve sous le ciel gris d'une petite ville du Nord dans un univers de pylônes et de lotissements et, le temps de son CDD dans un élevage industriel de volailles, loue une chambre dans le petit pavillon de Marlène et son mari, juste à côté.

« Vivre sa vie les deux pieds dans la merde, dans cette odeur pourrie des poulaillers industriels ,Vous connaissez quelqu’un dont le rêve soit ça ? »
Marlène, blonde pyroxydée aux rêves avortés de starlette de série B, forte en gueule, attachée à son chien, plus bête que méchante, règle ses comptes avec la vie à travers son mari et surtout Gérard, le frère de celui-ci.
Le quarantenaire handicapé de naissance, quasi grabataire est hébergé là depuis la mort de sa mère. Un « boulet », un « neuneu », un « débile » toujours dans ses pattes dit Marlène qu'il insupporte.
« On a le sentiment que c'est une grave erreur, une gaffe de la nature, un vrai n'importe quoi. On voudrait pouvoir le démonter, le détordre, le mettre à plat, et le reconstruire dans l'ordre » dit Alex en le découvrant. Le mari, enfermé dans son silence est transparent. Face aux plaintes et cris de sa femme, il courbe l'échine et fait « son Tobby, l'œil tombant et la truffe basse (…) fidèle à son principe de ne pas exister plus que le minimum vital ».

A s'occuper, occasionnellement tout d'abord, puis presque journellement de ce gamin jamais grandi et mal fini, Alex, va s'y attacher. Elle le rebaptise affectueusement Roswell, lui raconte des histoires, écoute ses poèmes, rit avec lui et ces moments partagés et ces petites attentions ressemblent à s'y méprendre, parfois, à des sentiments.
Lors d'une de ses séances de promenade de Roswell en chariot au bord du canal, elle rencontre deux garçons de son âge : Cédric, « 28 ans et rien », vaguement diplômé, sans emploi, le moral en berne depuis que sa copine l'a quitté et son copain Olivier dit « le Mérou », fils d'un modeste commerçant accroché à ses désirs de transmission de son petit patrimoine, un garçon obèse dont le seul but est de bâtir un barrage en canettes de bière dans le canal. « Qu'est ce qui fait que certains dorment dans des sacs à dos et changent chaque soir d'étoiles au-dessus d'eux et que d'autres grandissent, vivent leur vie et meurent à cent mètres de l'hôpital où leur mère les a pondus ? (...) Combien de gens s'abonnent au malheur, tout seuls, comme des grands, et ne résilient plus jamais l'abonnement ? (...) Et leurs parents, à quoi ils ont pensé lorsqu’ils ont fait construire ici ? C’est la faute à pas cher, la voilà leur excuse. Mais si c’est pour vivre douze mois dans une baraque de merde au milieu d’un décor moisi, c’est payer cher l’économie. »
Les deux jeunes paumés qui glandouillent là tous les jours survivent sans rêves, dans un immobilisme désespéré, certains que rien jamais ne viendra éclaircir cet horizon .
« Le Mérou et moi, on manque de maturité, peut-être. Mais la maturité, ça précède de peu le pourrissement. On a bientôt trente ans. On voudrait l'oublier le plus longtemps possible. On est des bulles de chewing-gum nous aussi, plus on grandit plus ça nous gonfle. Peut-être qu'on en crèvera, »
Alex (ou Gérard et son rire d'enfant vieilli ?) saura étrangement les apprivoiser et créer un véritable élan de solidarité envers celui que tous considèrent comme un monstre. Une solide amitié va naître. La vie de Cédric et Mérou, réveillés de leur léthargie, sortis des limites de leur quotidien et de leur ville, en sera changée en profondeur. Tous quatre s'embarqueront dès lors dans une aventure humaine hors du commun, une improbable et cocasse équipée collective sur un side-car, vers le sud, chez une amie d'Alex et sa vieille ferme accueillante...

Des personnages ordinaires, un quotidien tristounet qui ne demande qu'à s'animer, voilà ce que nous livre, hors toute convention, Marie-Sabine Roger dans ce roman à la gouaille sympathique qui n'édulcore ni la misère, ni la précarité. L'auteur dresse ici le tableau vif, sans concession, plein d'énergie et d'humour d'une France désabusée, entre jeunes mis hors jeu avant toute tentative d'intégration et monde d'employés minés par les frustrations.
Mais si Marie-Sabine Roger nous dépeint sans fard la réalité de personnes en marge, en galère ou en désespérance, encrassées dans une médiocrité apparemment sans issue, c'est, avec un optimiste plein de santé, à la lumière qui perce derrière le brouillard et à l'humanité sensible cachée sous les carapaces ou les masques, qu'au bout du compte, elle s'attache.
La fantaisie aussi est au rendez-vous. On sourit aux détournements et aux maladresses de langage, « si je n'amabuse », « j'en ai les nerfs qui me sortent des gaines », « j'ai raté l'encoche »... parfois poétiques qui émaillent le texte sans le saturer.
Le récit, au rythme soutenu, éclaté à travers différentes voix qui donnent à voir une même situation interprétée par des protagonistes différents, parvient à surprendre et à émouvoir.
Bref, on se laisse prendre par la vitalité de ce drôle de roman qui sait peindre le désespoir avec des mots qui chantent les lendemains meilleurs, qui commence comme du Zola pour s'achever en conte de fée.

Un livre dans la lignée de La Tête en friche, juste, chaleureux et drôle, qui fait la part belle à l'humain, la beauté, le hasard des rencontres, l'amitié et l'espoir. A consommer sans modération à partir de quatorze, quinze ans les soirs de morosité.

Dominique Baillon-Lalande 
(04/10/10)    



Retour
Sommaire
Lectures









Editions du Rouergue

Collection La Brune
304 pages - 19 €







Marie-Sabine Roger,
née en 1957, vit près de Nîmes. Après avoir été enseignante en maternelle pendant plusieurs années, elle se consacre aujourd'hui à l'écriture. Elle est l'auteur de plusieurs dizaines de livres pour les enfants, les adolescents et les adultes.



Vous pouvez lire
un entretien avec
Marie-Sabine Roger
sur le site
Le choix des libraires




Vous pouvez lire
sur notre site
des articles concernant
d'autres livres
du même auteur :

C'est nul
d'être un lapin



Les tartines au kétcheupe


Il ne fait jamais noir
en ville



La tête en friche