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Arnaud RYKNER
Le wagon
L’horreur et la souffrance ont débuté bien avant que les déportés ne franchissent l’entrée des camps de la mort. L’inimaginable a débuté dans le convoi qui mène, en ce 2 juillet 1944, plus de deux mille personnes, dont le narrateur de ce récit, Weismann, alias Victor, un jeune homme déporté. Sous la chaleur accablante de l’été, ce voyage dans le wagon, est un cauchemar, une véritable épreuve physique et morale : une descente aux enfers. Dès les tout premiers instants, le jeune homme doit surmonter son incompréhension et réalise combien les gestes et des sensations les plus élémentaires deviennent extraordinaires : en effet, il est assoiffé, asphyxié, affamé, agressé par des odeurs pestilentielles et par la violence des hommes. Pendant trois jours interminables, le narrateur fait l’expérience de la barbarie et de la monstruosité des nazis et de ses compagnons d’infortune, mais aussi de ce qui fait la grandeur de l’homme : la solidarité et la générosité. Mais comment ne pas perdre tous ses repères, comment garder la conscience d’être un homme ? Je me dis que je suis encore vivant, que si ces phrases peuvent encore me traverser, c’est que je ne suis pas tout à fait mort.
Le narrateur aura vingt-deux ans à l’arrivée au camp :
Quelqu’un parle de Dachau.
Le train s’arrête.
Oui, c’est écrit Dachau.
La porte s’ouvre dans les hurlements des hommes et les aboiements des chiens.
Aujourd’hui j’ai vingt-deux ans.
Est-ce cette grosse bougie qui fume, là-bas, qu’il me faudra souffler ?
Même si les récits sur la deuxième guerre mondiale sont nombreux, on partage avec beaucoup d’émotion tous les instants de cet interminable voyage. C’est certainement grâce au projet d’écriture dont l’auteur fait part au lecteur. En effet, le romancier Arnaud Rykner rend compte dans ce texte d’une tragédie humaine qu’a vécue l’un des membres de sa famille ; l’auteur engage d’emblée le roman dans une problématique bien particulière :
Tout ce qui est raconté ici est vrai. Tout ce qui est inventé ici est vrai aussi. Bien au-dessous de la réalité. Ce n'est pas une fiction.
J'ai dit qu'un historien avait enquêté, reconstitué, interrogé, avec rigueur et précision, des gens du train et hors du train. J'ai lu tout cela, pour ne pas mentir. J'ai lu tout ce que je pouvais, pour ne pas tricher. Ne pas faire le malin. Le moins possible.
Mais même en sachant ce que je savais, en lisant ce que j'avais lu, je ne pouvais que mentir. L'inimaginable doit être imaginé. Là où aucune image ne peut se former, il faut former une image.
Une image injuste.
Alors tout ce qui est raconté est faux. Ce n'est pas un livre d'Histoire. L'Histoire est bien pire. Irréelle.
Ceci est un roman.
Et ce récit, fragmenté, oppressant, relate avec une simplicité émouvante les méandres de la conscience du narrateur qui cherche à comprendre son destin et qui s’exprime dans une langue où la poésie peut aussi rendre compte de l’insoutenable.
Sylvie Legendre-Torcolacci
(01/09/10)
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Lectures
Editions du Rouergue
Collection La Brune
92 pages - 10 €
Arnaud Rykner
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