Boualem SANSAL

Le village de l'Allemand
ou Le journal des frères Schiller



Le roman de Boualem Sansal nous invite à participer par empathie au destin de deux frères, Rachel et Malrich Schiller. Nés en Algérie d’un père allemand et d’une mère berbère, tous deux sont envoyés en France dès leur jeune âge par leurs parents restés au pays. Rachel, l’aîné, fait d’excellentes études et devient cadre dans une grande entreprise. Le plus jeune quitte très tôt l’école, et vit plus ou moins d’expédients dans la cité où il habite chez son oncle Ali. Leur existence bascule brusquement en 1994, le jour où leurs parents sont égorgés avec d’autres villageois par un groupe de terroristes islamistes. Rachel se rend sur place, dans le village de son enfance, et ce qu’il découvre sur le passé de son père va le tourmenter si violemment qu’il rédige un journal pour garder une trace écrite de cette descente aux enfers, journal dont son jeune frère hérite après son suicide. Bouleversé à son tour, Malrich rédige un autre journal, et ce sont ces deux témoignages entrecroisés qui forment la matière du roman.

Ce que Rachel a découvert, c’est que son père était un ancien nazi, un officier SS de surcroît affecté dans les camps d’extermination et en particulier à Auschwitz. Ce passé va devenir pour son fils une véritable hantise, qui le pousse à rassembler tous les documents possibles sur la Shoah et à voyager dans l’Europe entière pour visiter les lieux où son père a exercé ses fonctions criminelles. Peu à peu, cette obsession le précipite dans un chaos mental délétère qui détruit son couple et sa réussite professionnelle. Dans son souci d’assumer à la fois le martyre des Juifs exterminés et la culpabilité de leur bourreau impuni, dans sa volonté de payer à la place de celui-ci, il se transforme lui-même en victime expiatoire, et c’est la raison pour laquelle il se donne la mort.

Malrich prend alors la suite. Il découvre à son tour la réalité de la Shoah, que ses études trop tôt interrompues lui avaient laissé ignorer pour une grande part. Mais ce qui le frappe et l’angoisse par-dessus tout, ce sont les similitudes qu’il perçoit entre le nazisme et l’islamisme radical qui travaille non seulement l’Algérie, mais également sa cité où les intégristes étendent progressivement et irrésistiblement leur pouvoir : même propagande envahissante, même incitation à la délation, même recours à la terreur, même culte de la mort. « Quand mes parents et leurs voisins du village ont été égorgés par les islamistes, dit-il à ses amis, Rachel a commencé à réfléchir. Il a compris que l’islamisme et le nazisme c’était du pareil au même. Il a voulu voir ce qui nous attendait si on laissait faire comme on a laissé faire en Allemagne, à Kaboul et en Algérie où les charniers islamistes ne se comptent plus, comme on laisse faire chez nous, en France où les Gestapos islamistes ne se comptent plus. » Malrich souhaite lutter de toutes ses forces, mais se sent réduit à l’impuissance. Il décide alors de faire publier le journal de son frère et le sien, pour lancer au moins un cri d’alarme.

Ce livre âpre et lucide est une réflexion sur la barbarie et sur son retour toujours possible. Il confronte le souvenir de la Shoah au présent de l’Algérie, qu’il montre asphyxiée par un régime à la fois policier et corrompu, ainsi qu’à celui des banlieues françaises dont certaines menacent de glisser hors de l’ordre républicain.

Sylvie Huguet 
(06/06/08)    



Retour
Sommaire
Lectures










Editions Gallimard
264 pages - 17 €




Boualem Sansal
,
né en 1949,
vit près d'Alger.
Le serment des barbares avait obtenu le Prix du Premier Roman en 1999. Le village de l'Allemand
est son cinquième roman.




Pour plus d'informations :
http://dzlit.free.fr/
serbar.html