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Ainsi commence ce roman où Anne Serre met en scène une femme à un moment stratégique de son parcours, face à un choix, une bifurcation, alors que la route jusque-là avait été simple et droite. Devant elle, deux chemins, deux hommes. Poursuivre la route avec Guillaume ou choisir d'accompagner Thomas ? Roman du choix mais aussi de la transformation. Avec une écriture très prenante, des phrases qui creusent les situations, éclairent les détails, Anne Serre nous fait partager les enthousiasmes, les hésitations, les refus de cette femme surprise elle-même par ce qui lui arrive. La voie semblait pourtant tracée, la relation indestructible avec Guillaume qu'elle aime et qui l'aime depuis vingt ans. Ils ont une jolie maison dans la petite ville de Sorge, il est architecte, elle écrit des articles dans des revues d'art, pas de soucis matériels. Leurs promenades dans la montagne sont d'intenses moments de bonheur qui les rapprochent et les fusionnent. Jamais Anna ne fut plus proche de Guillaume que sur ces sentiers. Quant à lui, l'ont peut se demander pourquoi il l'y entraînait tant. Craignait-il que dans le monde d'en bas l'amour d'Anna pour lui ne faiblisse ? Et voilà qu'un jour, le 6 août 2002, Anna croise Thomas dans une
rue de Sorge. Il la salue et la félicite pour un article affiché
dans la vitrine du libraire. Ils parlent et décident de poursuivre leur
conversation à la terrasse d'un café. Chacun des deux éprouve
alors un étrange sentiment et plus rien ne sera jamais comme avant. Au
fil des jours, ils se croisent à nouveau, s'évitent, se cherchent,
se retrouvent. Anna est très perturbée par le séisme qui secoue son existence
et ravage la sérénité de son couple. Avant d'en prendre
vraiment conscience, il est déjà trop tard, elle se retrouve dans
cette inconfortable situation où elle aime encore Guillaume et aime déjà
Thomas. Anne Serre met des mots sur tous les ressentis, sur les attitudes ou les désirs,
des images subtiles, des phrases aussi hésitantes ou enflammées
que les sentiments d'Anna. Cet homme a un véritable génie de
la présence, de la distance. Il se tient toujours à quelques mètres
d'elle, jamais contre elle sauf si c'est elle qui vient contre lui, jamais collé
à elle sauf si c'est elle qui se colle à lui, mais même
alors, quoique très réceptif il ne bouge pas. [
] Il laisse
de la fiction entre eux comme si tout cela, peut-être, n'a été
que rêvé, mais en même temps où qu'elle se tourne
il est là, comme un signe sur une page, on peut bien tournoyer autour,
les yeux sont toujours ramenés à ce signe qui signifie quelque
chose dans une langue que l'on n'a pas encore déchiffrée. Par moments, elle tutoie ses personnages (Qui es-tu donc, Thomas Lenz, pour exercer sur Anna une telle emprise et depuis si longtemps ?), les vouvoie (Anna Lore, êtes-vous donc une abonnée de ce que l'on a coutume d'appeler le coup de foudre ? / Vous êtes tout de même un drôle d'homme, Thomas Lenz. Pourquoi donc avoir laissé Anna mijoter ?) ou se permet un clin d'il au lecteur (quand au bout de milliers d'heures ils se retrouvent dans la chambre, aucun lecteur attentif jusque-là n'imaginera que c'est pour se sauter dessus). Les références à la littérature sont fréquentent pour Anna qui lit beaucoup, qui dès le début a vu Thomas comme le Jude l'obscur de Thomas Hardy, et qui choisit dans sa bibliothèque des livres à prêter à Thomas pour soigner un trouble que seules ces lectures peuvent apaiser. Un livre très fin et très fort, violent et tendre, qui dépeint avec précision et habileté les tourments d'Anna, les tempêtes qui l'agitent, ses désirs d'amour et de mort, ses interrogations et les grandes mutations qui s'opèrent en elle. Une belle littérature, un grand bonheur de la rentrée ! Serge Cabrol (05/09/11) |
Sommaire Lectures Mercure de France (Août 2011) 168 pages - 16,50 € Folio (Mars 2013) 192 pages - 6,90 €
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