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Nicholas SHAKESPEARE
Héritage
Au début, ce roman semble léger, comme une agréable comédie,
mais il s'épaissit peu à peu en une passionnante quête de
l'identité d'un homme aussi riche que mystérieux, nous rappelle
le génocide arménien de 1915, nous entraîne dans l'Australie
des années 50 et met en scène une belle galerie de personnages
hauts en couleurs, de la gouvernante la plus dévouée à
l'escroc le plus maléfique. Évidemment, on n'a pas le temps de
s'ennuyer en suivant les tribulations d'Andy Lackham, assistant éditorial
dans une maison de guides pratiques, héritier d'une fortune dont il est
le premier étonné.
Tout commence avec une erreur d'enterrement. Andy Lackham, parti au crématorium
pour assister à la cérémonie funéraire d'un ancien
professeur, Stuart Furnivall, se trompe de chapelle et suit, d'une oreille distraite
par ses souvenirs, les obsèques de Christopher Madigan.
Ils ne sont que trois à contempler le cercueil : un homme aux cheveux
gris, une femme avec un manteau de fourrure et lui.
Quand, à la fin, l'homme lui demande de laisser ses coordonnées
sur le registre de condoléances, il hésite mais n'ose refuser
et inscrit son nom et son adresse.
Une jeune femme, arrivée trop tard, veut aussi s'approcher du livre,
l'homme s'y oppose et referme le registre.
Andy est dans une période un peu flottante de sa vie. Son père
lui manque, sa fiancée le laisse tomber, son travail ne le satisfait
pas totalement et le souvenir de l'ancien professeur dont il a raté les
obsèques le perturbe, surtout que Stuart Furnivall lui a laissé
un manuscrit impubliable, A la recherche de Montaigne
Quelques jours après son erreur de cérémonie funéraire,
Andy est contacté par un cabinet juridique et apprend que Christopher
Madigan a légué sa fortune aux personnes présentes à
son enterrement. L'homme aux cheveux gris étant le notaire, les deux
héritiers sont Maral Bernhard, la femme au manteau de fourrure, et Andy
Lackham, tous deux signataires du registre. Chacun recevra dix-sept millions
de livres.
Que peut faire un jeune homme avec une telle somme ? Andy pense évidemment
à sa mère et à sa sur et, ensuite, quitte son travail,
réalise quelques rêves
Plaisirs et déceptions, illusions
et lassitude
Quelques phrases du préambule au testament de Madigan ont marqué
sa mémoire.
Quelle que soit la raison qui vous a poussé à assister à
la prière finale, veuillez vous rappeler qu'un vieil homme se trompe
rarement. L'argent m'a apporté l'aisance et le confort, mais aussi une
forme de pauvreté. Nul ne devient soudain bon ou riche. Pas plus qu'on
n'est soudain aimé. Avant, personne, hormis ma grand-mère, mes
parents et la femme que je devais épouser, ne se souciait de mon bien-être.
Avec la prospérité, tout a changé...
L'argent m'a appris ceci : si vous croyez à l'amour, vous vous bercez
d'une illusion qui vous tuera. Il n'y a qu'une vérité et c'est
le hasard. Je dois ma fortune à la chance. Et je la distribue aujourd'hui
suivant le même principe.
Alors Andy, pour des tas de raisons, par mauvaise conscience vis-à-vis
de Jeanine Pyke, la fille déshéritée, par curiosité,
et aussi sans doute pour la part de mystère qui a entouré la vie
de son propre père, décide de savoir qui pouvait bien être
cet homme, pourquoi on ne trouve pas d'informations sur lui, quelle était
l'origine de sa fortune, les raisons qui l'ont poussé à léguer
son argent à des inconnus plutôt qu'à sa fille
Maral Bernhard, l'autre héritière, était la gouvernante
de Christopher Madigan. Elle connaît son vrai nom, ses origines, la nature
de la relation entre le père et la fille
Andy parvient à gagner la confiance de la vieille dame et la deuxième
partie du roman nous délivre peu à peu tous les secrets de la
vie de Krikor Makertich, véritable nom de Madigan. Un parcours qui doit
beaucoup à la violence des hommes (le génocide arménien,
l'exil) mais aussi aux conventions sociales (dans l'Australie des années
50) et à la malveillance de certains (notamment un séduisant escroc
qu'on retrouve à plusieurs reprises dans le récit). A la chance,
au courage, à l'intelligence aussi qui ont permis à Madigan d'amasser
une fortune faute de trouver le bonheur.
Nicholas Shakespeare mêle avec un grand bonheur la légèreté
et l'émotion, l'humour et la gravité, pour constituer un livre
très agréable à lire, aux personnages attachants et bien
dessinés, un livre qui pose de vraies questions sur le rapport à
l'amour et à l'argent, sur la relation parents/enfants, sur le poids
de l'histoire et des conventions sociales, sans être jamais dans le général
ou la digression mais toujours dans le vécu du personnage.
Une grande réussite qui devrait trouver un large public.
Serge Cabrol
(29/08/11)
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Sommaire
Lectures
Editions Grasset
432 pages - 20,90 €
Traduit de l'anglais par
Karine Laléchère
Nicholas Shakespeare,
né en Angleterre en 1957, journaliste littéraire, est
l'auteur de plusieurs romans, dont La Vision d'Elena Silves (Albin Michel,
1991, prix Somersert Maugham), ainsi que The Dancer Upstairs, dont il
a écrit le scénario du film réalisé en 2002 par
John Malkovich. Il est également l'auteur de plusieurs documentaires,
notamment sur Mario Vargas Llosa ou encore Bruce Chatwin, dont il signe la biographie
en 1999 et, en 2010, l'édition de la correspondance (à paraître
chez Grasset). Il vit aujourd'hui à Oxford.
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